Comme nous le pressentions le mois dernier (voir Le Club des pins plus « loin » que le Tibesti), Amara Saïfi n’a pas été présenté à la justice algérienne et le procès prévu le 13 juin est de nouveau reporté. Officiellement, il est toujours en fuite. Tout cela est dans l’ordre des choses dans le monde qu’on nous construit. Normale est aussi l’absence d’« investigateurs » attitrés des médias français, des rédactions de 7 à 8, de Complément d’enquête, d’Un Œil sur la planète, de Pièces à conviction ou de Zone interdite. Comme sous l’effet d’une injonction immanente, tous les pourfendeurs habituels du « terrorisme islamiste » font profil bas. Circulez, il n’y a rien à voir. Al-Para a achevé de jouer sa partition. Il a été condamné le 25 juin « par contumace » et « à perpétuité ». Liberté [26/06] fait remarquer que « c’est la première fois dans les annales de la justice algérienne et de par le monde qu’un accusé est condamné par contumace, alors qu’une haute autorité affirme qu’il est entre les mains de la Police judiciaire ». Il faut trouver une autre... distraction, et c’est Mokhtar Belmokhtar qui semble voué à assurer la relève.
Pourtant, la télévision d’ordinaire friande du moindre souffle d’explosion dans le monde a littéralement occulté ces jours-ci un attentat meurtrier en Mauritanie. « Que s’est-il réellement passé dans le désert mauritanien ? », s’interrogent Christophe Ayad et José Garçon dans Libération [08/06]. « Seule certitude : quinze soldats mauritaniens ont trouvé la mort dans l’attaque [...] de la petite base militaire de Lemgheity, à la frontière de la Mauritanie, du Mali et de l’Algérie. La centaine d’assaillants armés est repartie à bord de six véhicules, perdant cinq hommes. Nouakchott a immédiatement attribué ce raid au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), des islamistes algériens, présentés par Alger comme proches d’Al-Qaeda. » Un attentat, expliquent ces journalistes, qui arrive « à point nommé » pour « le président Ould Taya, qui a reconnu Israël et courtise Washington, [mais qui] est très contesté dans son pays, qu’il dirige d’une main de fer. L’attaque lui permet aussi de réclamer à l’Occident plus de moyens dans la lutte antiterroriste ». Cet attentat intervient, comme par coïncidence, alors que se déroulent dans la région des manœuvres de l’armada militaire américaine. « Baptisés “Flintlock 2005” ces exercices qui durent trois semaines, du 6 au 26 juin, réunissent environ 3 000 soldats africains venus d’Algérie, du Mali, du Maroc, de Mauritanie, du Niger, du Nigeria, du Sénégal, du Tchad et de Tunisie, ainsi que 700 hommes des forces spéciales américaines. » [La Tribune, 19/06] Pas malins pour un sou les terroristes du GSPC qui auraient pu attendre le 27 juin pour mener leur raid en toute quiétude !
Le Quotidien d’Oran affiche une égale incrédulité : « Les preuves contre le GSPC, notamment l’émir Mokhtar Belmokhtar, brandies par l’armée mauritanienne pour expliquer l’attaque de la caserne de Lemghity semblent bien minces. » Et de les réfuter une à une, avant de donner sur ce terroriste des précisions qui laissent béat d’admiration. Et puis « “Belmokhtar ne se trouve pas en Mauritanie actuellement” et serait même localisé dans la région de Boukhil, à Djelfa, au nord de Ghardaïa, sa région natale », s’exclame le journaliste ! Suivent des détails sur les effectifs du groupe, les ramifications transfrontalières, les complicités au sein de l’armée, le renfort de sempiternels « experts antiterroristes internationaux » qui s’affirment « sceptiques », etc.
Quel intérêt aurait le DRS - le Code de l’information stipulant que rien ne doit transpirer de nature sécuritaire qui n’émane pas de cette officine, il n’y a pas lieu de douter qu’il s’agisse là d’une reprise fidèle d’une dépêche des services secrets algériens - à disculper ainsi ce chef du GSPC qu’il peine par ailleurs à imposer comme une réelle menace terroriste dans la région ? La raison en est toute simple : comme le dit si bien Le Quotidien d’Oran, accuser le GSPC est « une stratégie à hauts risques pour occulter ses problèmes politiques internes. » En somme, n’est pas Belkheir qui veut et une telle « stratégie » entre les mains d’un potentat sans envergure comme Ould Taya risque de ruiner tous les efforts du conglomérat d’intérêts étrangers pour s’approprier les hydrocarbures de la région. Les canaux ordinaires d’information sur l’Algérie étant tous dévoyés, sur qui compter pour, sinon agir, au moins comprendre ? Sur le travail bénévole, l’« alter-journalisme » en quelque sorte. Ainsi, le site www.recherches-sur-le-terrorisme.com/Documentsterrorisme/sahara.html fournit une biographie très plausible d’Amara Saïfi, cet homme qui prétend agir pour le triomphe du salafisme sur la planète : En effet, il « ne se signalait pas par un comportement religieux au sein de l’armée et, surtout au 12ème RPC, il participait à des beuveries avec ses camarades. [...] Abderrezak El-Para, selon [des sources bien informées], s’appelle en réalité Qessah. Formé en 1987 à l’école des forces spéciales de Biskra [...] il y devient sergent. Après sa formation, il est muté au 12ème RPC (12ème régiment de para-commandos), une unité d’élite de l’armée algérienne. En 1992, il déserte de la caserne de Beni Messous (à Alger) pour le maquis. En 1994, cependant, il se rend aux autorités. Pendant deux ans, il aurait été vu à plusieurs reprises au centre de Ben Aknoun, le CPMI (Centre Principal Militaire d’Investigation) en compagnie du patron d’alors, le colonel Tartague, devenu depuis général. Il est envoyé en stage pendant trois ans, avec le grade de lieutenant, à Fort Bragg (USA), le centre d’entraînement des Bérets Verts américains. De retour en Algérie, il est nommé capitaine. Pourtant promis à une belle carrière, il déserte à nouveau en 1997 et rejoint les maquis. » Un an plus tard, commençait sa médiatisation d’abord au Nord, avant que les événements du 11 septembre ne surviennent. Il migre alors vers le Sahara. Depuis, par petites touches, la région est devenue le fief... du complexe militaro-industriel américain. C’est dire qu’il est exclu que cet homme vienne raconter au monde son aventure ; d’où sa disparition depuis le 27 octobre 2004, date à laquelle il a été remis par la rébellion tchadienne aux autorités algériennes, via l’intermédiation de Mouammar Kadhafi.
Les chefs du GSPC alliés à Al-Qaïda, les généraux algériens et l’administration Bush font décidément un curieux ménage. Pas si curieux lorsqu’on sait que leur épopée commune a comme tribut de guerre l’une des plus importantes réserves en hydrocarbures de la planète. Encore moins curieux quand cette spoliation n’en est pas à proprement parler une, car elle se fait en vertu de « lois » votées par le Parlement algérien (l’APN), avec l’appui du syndicat officiel UGTA et la collaboration sans faille de la presse algérienne. Quand survient une faille... c’est la « justice » algérienne qui passe, comme elle est passée pour Mohamed Benchicou, Ali Dilem, Kamel Amarni, Fouad Boughanem, Ahmed Benaoum, tous emprisonnés, coupables de crime de lèse-majesté. Silence, on... pompe !
Lounis Aggoun