par Géraud de la Pradelle Président de la Commission d’enquête citoyenne (CEC)
Le Monde a publié successivement, les 8 et 15 octobre, deux séries d’informations relatives aux plaintes dont la justice est saisie de la part de victimes rwandaises qui se sont constituées parties civiles contre X ... Le X... désigne à l’évidence des militaires français dont les plaignants ignorent l’identité. Pour cette raison, la juridiction compétente est le Tribunal aux Armées de Paris. Les informations du Monde ne manquent pas d’intérêt. Toutefois, quelques impropriétés obscurcissent l’exposé de la situation. (par exemple : le Parquet [c’est à dire, le Procureur, représentant du Gouvernement] n’a pas le pouvoir de "juger la plainte recevable" - ce pouvoir n’appartient qu’au Juge ; il n’est pas question de "l’ouverture d’une enquête", mais de l’ouverture de "l’information"- en d’autres termes, de l’instruction des plaintes par le Juge ; le Juge n’a pas à "délivrer une commission rogatoire pour se rendre sur place [au Rwanda] et entendre les victimes" car ce serait seulement s’il devait charger une autre autorité d’entendre les victimes qu’il devrait délivrer une commission rogatoire à cette autorité...). Il faut donc tenter de clarifier les choses. En présence de plaintes avec constitution de parties civiles, le Parquet a le choix de requérir du juge soit l’ouverture de l’information, soit un refus d’informer - le Juge étant, évidemment, seul maître de sa décision. Cependant, jusqu’ici, le Parquet n’a requis ni l’une, ni l’autre ; il a préféré temporiser : le journal rappelle opportunément qu’en juillet, le Procureur militaire avait prié le Juge d’instruction d’entendre les parties civiles afin de vérifier leur crédibilité. Il se fondait, pour cela, sur certaines dispositions du Code de procédure pénale (v. article 86, alinéa 3, CPP : "Lorsque la plainte n’est pas suffisamment motivée ou justifiée, le procureur de la République peut, avant de prendre ses réquisitions et s’il n’y a pas été procédé d’office par le juge d’instruction, demander à ce magistrat d’entendre la partie civile et, le cas échéant, d’inviter cette dernière à produire toute pièce utile à l’appui de sa plainte"). Le Monde rappelle également que les parties civiles ont été effectivement convoquées pour être entendue conformément aux dispositions de l’article 86 alinéa 3 du CPP et qu’elles ont répondu qu’elles n’avaient pas les moyens de se rendre à Paris pour y rencontrer le Juge. De plus, le journal rend compte de ce qui paraît bien être une divergence de vues opposant le Parquet militaire et le Juge d’instruction. Ce dernier estimerait, en effet, que les plaintes sont suffisamment détaillées si bien que "la délivrance d’un réquisitoire introductif (lui) semble s’imposer". En d’autres termes, s’il faut en croire Le Monde du 8 octobre, le magistrat serait disposé à instruire dès à présent et presserait le Parquet de prendre des réquisitions à cette fin. C’est alors qu’une dépêche parue dans le numéro du 15 octobre a révélé que le Parquet maintenait sa position, mais cette fois, en prenant formellement des réquisitions : toujours sur le fondement de l’article 86, alinéa 3, du CPP, il a requis du Juge qu’il se rende au Rwanda pour entendre les plaignants ou qu’il charge les autorités rwandaises de les entendre à sa place. On attendra patiemment les suites de la controverse car les mesures fondées sur l’article 86 alinéa 3 sont nécessairement provisoires : il faudra bien qu’un jour ou l’autre, le Parquet se résigne à requérir soit que le Juge instruise les plaintes, soit qu’il refuse de les instruire. En tout état de cause, le dernier mot appartient à ce Juge, sous le contrôle de la Cour d’appel et de la Cour de cassation. Or, il résulte de la jurisprudence que le Juge d’instruction est tenu d’instruire sur tous les faits dénoncés par la plainte avec constitution de partie civile et d’examiner tous les chefs d’inculpation visés par cette plainte, quelles que soient les réquisitions du procureur de la République (C. de cass., Ch. Crim., 16 novembre 1999, Bull ; n° 159).