Survie

Congo Brazzaville : A fleur de presse - Janvier 2006 - Françafrique

rédigé le 1er janvier 2006 (mis en ligne le 1er janvier 2006) - Victor Sègre

AFP,
Un procès à Londres démonte le détournement des pétrodollars du Congo
Pierre PRATABUY, 15/12 :

« La justice britannique a récemment mis au jour de complexes montages financiers destinés à dissimuler les revenus pétroliers du Congo-Brazzaville depuis plusieurs années, dans une affaire opposant l’État congolais à l’un de ses créanciers. La société financière Kensington International, basée aux îles Caïman, à laquelle le gouvernement de Denis Sassou Nguesso devait 121 millions de dollars (100,8 M EUR) au 12 août 2005, a obtenu gain de cause dans un jugement de la Haute Cour de Justice rendu à Londres le 28 novembre. Elle demandait à recouvrer une partie de ses créances congolaises auprès d’une tierce partie, la société pétrolière britannique Glencore, redevable de 39 millions de dollars (32,4 M EUR) à la société Sphynx Bermuda, présentée comme une société écran agissant pour le compte de Brazzaville. Le juge Cooke est parvenu à la même conclusion : l’argent de Glencore finirait, en réalité, dans les caisses de l’État congolais. Il a ordonné en conséquence à Glencore de payer Kensington, et non Sphynx.

L’affaire débute en février 2005 avec la vente d’une cargaison du tanker Nordic Hawk par la Cotrade, filiale de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), à la société Africa Oil and Gas Corporation (AOGC). Cette dernière revend le chargement à Sphynx Bermuda, qui le cède ensuite à Glencore. Selon la Haute Cour, les contrats passés entre la Cotrade, AOGC et Sphynx Bermuda étaient factices et visaient à interposer des sociétés écrans entre la SNPC et Glencore. Le but ultime étant de dissocier l’État congolais de revenus que ses créanciers pourraient saisir. Pour parvenir à ces conclusions, le juge Cooke a remonté l’histoire récente de l’industrie pétrolière du pays, en examinant le rôle de Denis Gokana. Cet ancien salarié de la compagnie française Elf contribue à la création, en avril 1998, de la SNPC, dont il dirige la filiale britannique de 1999 à 2001. Il crée ensuite à Londres, en 2002, Sphynx Bermuda, qui fournit ses conseils à la SNPC. En décembre, il revient au Congo régler un différend avec Total et devient à cette occasion le conseiller spécial du président Sassou Nguesso pour le pétrole. En janvier 2003, Denis Gokana crée AOGC qui, jusqu’en avril 2005 et avec Sphynx Bermuda, vend 23 cargaisons de pétrole congolais, dont celle du Nordic Hawk, pour un total de 472 millions de dollars (393,2 M EUR). Or, les relevés bancaires de Sphynx, obtenus par Kensington International, montrent que l’argent tiré des ventes de pétrole, à l’exception d’une seule, ne transitait pas par les Bermudes mais arrivait directement sur le compte bancaire de l’AOGC au Congo, dont les relevés n’ont pu être consultés par la justice britannique. La Haute Cour en a conclu que M. Gokana avait toujours agi pour le compte du Congo et non comme dirigeant de sociétés indépendantes. Il est d’ailleurs devenu en janvier le directeur général de la SNPC. Le juge Cooke, sans en avoir la preuve, n’a pas exclu que le montage financier ait permis un enrichissement personnel de M. Gokana et de dirigeants congolais, comme l’affirmait l’ONG Global Witness dans un rapport récent. Cet aspect fait l’objet d’une autre plainte déposée à New York par Kensington, à l’encontre de la SNPC, de son ancien patron Bruno Jean-Richard Itoua, actuel ministre congolais de l’Energie, et de la banque française BNP-Paribas. Cette action est intentée dans le cadre du Racketeer and Corrupt Organizations Act, adopté par le Congrès américain en 1970 pour lutter contre la mafia. Le 19 mai 2005, selon la Haute Cour, la Caisse congolaise d’amortissement, qui dépend du ministère des Finances, avait exclu de faire un quelconque paiement à ses créanciers avant que diverses négociations sur l’allègement de la dette du pays n’aboutissent. »

Rien de bien surprenant si l’on se souvient que l’imposante société de courtage suisse Glencore, au départ fondée par Marc Rich, s’est déjà illustrée dans le dépeçage de Metaleurop, dans le naufrage du Prestige, et dans différents trafics d’armes ou de pétrole avec le Congo-Kinshasa, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou l’Angola, aux côtés d’acteurs de premier plan de la Françafrique et de certains milieux russes. Mais ce n’est pas tous les jours que la justice décortique les circuits de l’argent sale ; et il s’agit d’un cinglant démenti aux appréciations du FMI et la Banque Mondiale qui jugeaient récemment que M. Gokana avait su impulser davantage de transparence dans les revenus énergétiques du Congo. On attend donc avec impatience les résultats de l’autre enquête visant BNP-Paribas, qui fut avec Glencore au cœur de l’ingénierie financière de l’Angolagate comme de certaines affaires de pillage de l’ex-URSS.

Victor Sègre

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 143 - Janvier 2006
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