Survie

Dénis majeurs en Mali mineur

rédigé le 1er janvier 2006 (mis en ligne le 1er janvier 2006) - Antoine Lecanut

Nous le rappelions dans notre précédent numéro [salve Honni soit qui Mali pense], le Mali possède la troisième réserve d’or mondiale. Tout en étant l’un des pays les plus pauvre de la planète, il est paradoxalement l’un des plus riche par son potentiel minier. Le Mali est connu depuis des siècles pour produire de l’or de manière traditionnelle. Depuis bientôt 10 ans, des multinationales œuvrent afin de s’emparer de cette manne, en s’accaparant les bénéfices issus de l’exploitation dans le plus grand mépris des populations locales et au détriment de l’environnement, détruisant ainsi l’activité de 20 000 orpailleurs traditionnels.

L’exploitation de la mine d’or de Sadiola par la Semos (Société d’exploitation des mines d’or de Sadiola), située dans la région de Kayes, a commencé en 1996. La Semos est détenu par IamGold (38 %), AngloGold (38 %), l’État malien (18 %) et la SFI (6 %). La SFI (Société financière internationale) est une filiale de la Banque Mondiale. Les Amis de la Terre ont effectué en janvier 2003 une mission d’investigation sur la mine de Sadiola. Le constat est accablant et les principales préoccupations qui ressortent de leur rapport sont :

 Les risques élevés de pollution de l’eau par le cyanure, ainsi que l’impact sur l’environnement qui en découle,

 Le manque d’accès aux informations détenues par la Semos, et en particulier aux résultats d’analyses d’eau,

 Le défaut d’embauche de la population locale, auxquels on préfère des travailleurs venus d’autres pays,

 Une gestion opaque et floue des fonds destinés au développement communautaire,

 L’impact social et environnemental sur les conditions de vie à Sadiola.

L’exploitation de l’or de la mine de Morila, situé à 280 km au sud-est de Bamako, a débuté elle en 2000. La société Morila SA sous-traite les travaux d’extraction à la Somadex (Société malienne d’exploitation), une filiale du groupe Bouygues, qui emploi environ 600 personnes sur les 1500 qui travaillent à la mine. Morila SA est détenue par Randgold (40 %), AngloGold (40 %) et l’État malien (20 %). La réserve d’or de Morila est estimée à 120 tonnes. Une convention signée entre l’État malien et Morila SA, stipule que l’exploitation de la mine doit se faire sur 11 ans, à raison de 11 tonnes d’or par an. En échange de quoi, l’État malien a accordé à Morila SA une franchise fiscale durant les 3 premières années d’exploitation. Morila SA a en fait exploité 83 tonnes d’or durant les 3 premières années, au lieu des 33 prévues, soit plus des 2/3 des réserves de la mine. Réduisant d’autant la durée effective d’exploitation, Morila SA s’est ainsi auto-exonérée d’impôts et de taxes sur une grande partie de la production. Par contre, la convention collective des sociétés et entreprises minières prévoit qu’en cas de dépassement de la production prévue, la société doit verser aux mineurs une prime de rendement, qui est un pourcentage du taux de dépassement. La Cour d’appel de Bamako a d’ailleurs rendu le 10 février 2005 un jugement confirmant que la prime de rendement était due ; ce que la direction de la mine se refuse toujours à honorer.

C’est ce déni de droit qui est l’une des principales causes du conflit social très dur en cours à la mine de Morila. En janvier 2005, les mineurs multiplient les démarches pour faire reconnaître le Comité syndical, sans succès. En juillet, 550 ouvriers de la Somadex se mettent en grève durant 3 jours pour essayer d’imposer la reconnaissance du Comité syndical. La direction de la Somadex réplique en licenciant 17 ouvriers et en menaçant d’en licencier 60 autres. La grève reprend pour :

 Demander la réintégration des 17 licenciés,

 Revendiquer les primes de rendement non payées, estimées à 17 milliards de FCFA (26 millions d’euros).

 Dénoncer les conditions de travail indignes, les protections étant la plupart du temps absentes alors que les mineurs sont exposés aux vapeurs de cyanure et aux poussières d’arsenic.

 Dénoncer la falsification, voir parfois l’absence de contrat de travail.

Après un mois de grève, la direction de la Somadex licencie 300 de ses employés en toute illégalité. Depuis le mois d’août, la situation s’est dégradée et le Comité syndical est entré dans la clandestinité. De véritables commandos sont organisés pour créer la confusion et arrêter les grévistes. Une trentaine de mineurs ont été emprisonnés en octobre et à l’heure actuelle, 8 personnes semblent encore en prison.

Le 12 novembre 2005, le Président du Mali Amadou Toumani Touré (ATT) a inauguré une nouvelle mine d’or à Loulo, à 350 km à l’ouest de Bamako, dont l’exploitation a débuté en juin 2005. La Somilo (Société de la mine d’or de Loulo) est détenue par Randgold (80 %) et l’État malien (20 %). Sur les 1100 employés de la mine, 250 seulement sont Maliens. Le Directeur général de Randgold ressources limited, Mark Bristow, a précisé lors de son discours d’inauguration : « Notre foi dans ce pays a été justifiée par les résultats de Morila ». Tout un programme.

Antoine Lecanut

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 143 - Janvier 2006
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