Survie

Comores - Procès Denard, mars 06 - 1 : Interview de Saïd Mohamed Djohar

Président renversé en 1995 par la France

rédigé le 1er mars 2006 (mis en ligne le 1er mars 2006) - Kes, Lisa Guiachino

(Kashkazi, 27/10/2005, p.11 à 13)

(Comme un coup de théâtre dans le procès de Bob Denard, le président qu’il a déchu vient de décéder, dans la nuit du 22 au 23 février. Il avait donné cette interview précieuse pour l’histoire à l’annonce de l’ouverture du procès. Nous recommandons la lecture intégrale de cette interview, disponible sur www.kashkazi.com. Cet épisode de la valse des présidents comoriens au gré des caprices élyséens concerne celui qui s’est opposé à la mise en place début 1995 du visa “Pasqua-Balladur” pour Mayotte [cf. communiqué du 20/12 in Billets n° 143 ], quelques mois avant l’élection présidentielle de Jacques Chirac.)

Votre garde personnelle a t-elle essayé de s’interposer ? Y a t-il eu échange de coups de feu ?

S.M. Djohar : Je n’en ai pas entendu un seul. Ils étaient 25 gardes et ont été désarmés par cinq mercenaires. En quittant la résidence, je les ai vus dans la cour déshabillés et debout devant le portail. À mon avis, le chef de la sécurité, Rubis, était au courant du putsch parce qu’il est entré avec Bob Denard presque en s’excusant, me disant qu’ils étaient désarmés et qu’il fallait se rendre.

Depuis quand Rubis dirigeait votre garde présidentielle ? Qui l’avait nommé ?

S.M. Djohar : Depuis deux ans. Il m’avait été conseillé par Paris.

[...] Le huitième jour, j’entends un bruit d’hélicoptères survolant le camp et au loin des tirs d’armes automatiques et d’obus. Bob est rentré, visiblement énervé. Il a dit : “Ils m’envoient ici, et puis ils viennent me chercher !”. Vers 17 heures, Bob Denard revient au camp et m’informe qu’un accord a été trouvé avec l’armée. À 22 heures, le colonel des bérets rouges entre au camp et me salue. “Monsieur le Président, préparez-vous, on va aller à l’ambassade de France ce soir”, m’ordonne t-il.

Sans explications ?

S.M. Djohar : Non. Il m’a dit qu’on devait y aller ce soir. J’ai dit : “Pourquoi pas demain matin ?” Il a dit que ce soir, les rues étaient calmes.

Qui vous attendait à l’ambassade ?

S.M. Djohar : Je trouve l’ambassadeur lui-même, Didier Ferrand. Il m’informe qu’il a reçu des instructions de me faire sortir de mon pays pour me faire soigner à la Réunion ou à Mayotte. Je lui réponds que je ne suis pas malade. Il insiste. Je lui assure que je suis en pleine forme. Il insiste encore. Alors j’ai dit : “J’ai compris, vous voulez m’exiler comme notre dernier sultan, Saïd Ali”. [...]

Qui d’autres avez-vous rencontré dans l’enceinte de l’Ambassade ?

S.M. Djohar : Il y avait mon Premier ministre, Caambi El Yachourtui, qui devait me faire signer une lettre de démission. Il ne l’a pas fait. Je crois qu’il n’a pas osé. Et puis j’ai reçu un appel d’Hervé de Charrette, alors ministre français des Affaires étrangères, qui m’a demandé d’excuser le gouvernement. Je lui ai dit que ce qu’il me faisait était une déportation. [...]

Comment vous a t-on accueilli à la Réunion ?

S.M. Djohar : C’est le préfet et le chef des armées stationnées sur le département qui m’attendaient sur un aéroport désert. Ils m’ont tout de suite fait comprendre qu’ils avaient des instructions pour me conduire à l’hôpital. J’ai encore une fois rouspété contre cet entêtement à soigner de force un homme qui n’est pas malade. [...] Le troisième jour, le médecin de l’hôpital m’apportant le rapport de bilan m’a affirmé qu’à l’exception de ma vue qui baissait, je me portais bien. [...] Un peu plus tard, j’ai entendu le préfet reprocher au médecin de me l’avoir montré sans son autorisation. J’ai ensuite quitté l’hôpital pour Hell-Bourg, dans le cirque de Salazie.

Comment avez-vous passé ces quatre mois dans votre prison dorée ?

S.M. Djohar : [...] J’ai écrit à presque tout le monde pour expliquer ce qui se passait, ma détention. À Hosni Moubarak, Boutros Boutros Ghali, Abdou Diouf, Salim Ahmed Salim de l’Union Africaine... Ce dernier est parti le lendemain en France pour protester devant le président Chirac. J’ai reçu les visites de Jacques Sylla, ministre des Affaires étrangères de Madagascar, d’un ambassadeur de la Tunisie, de responsables politiques comoriens, de beaucoup de Comoriens de la Réunion.

Et les autorités françaises ?

S.M. Djohar : J’ai envoyé un fax à Jacques Chirac pour protester. Il m’a répondu qu’il s’agissait d’une affaire intérieure aux Comores.

 Version intégrale de cette interview, disponible en téléchargement sur http://www.kashkazi.com/archives/13-2005-10-27.pdf

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 145 - Mars 2006
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