Les phosphates constituent la première richesse minière du Sénégal. L’essentiel de la production est assurée par les Industries Chimiques du Sénégal (ICS). Ces dernières, au capital de 130 milliards de francs CFA sont au bord du gouffre avec un déficit financier évalué au minimum à 90 milliards de francs CFA.
Selon l’intersyndicale de l’entreprise, une mise en faillite signifierait la mise au chômage de 2500 travailleurs, une perte de 15 % du chiffre d’affaire des PME sénégalaises et de 700 milliards de francs CFA d’investissement, la fin du programme d’appui à la lutte contre la pauvreté dans les villes et villages environnants des ICS (plus de 500 millions de francs CFA par an) et une perte de devises de 250 millions de dollars, sans compter « l’extinction du premier pôle de croissance économique de la grande côte » du Sénégal [Angola Press, 19/01]. Plusieurs créanciers, dont la compagnie pétrolière Total tentent de faire saisir directement les matières premières de l’entreprise, avec l’appui de compagnies d’assurance, dont la Coface. [Walfadjiri, 30/01].
Par ailleurs, des « saisines ont été obtenues par des hommes d’affaires français sur les comptes logés à Paris et à New York » [Walfadjiri, 27/01].
Les finances, toujours très opaques, de l’entreprise n’ont jamais été au beau fixe, mais le coup de grâce remonte à quelques années. À l’origine de ce naufrage économique, un plan de sauvetage de l’entreprise avalisé par l’Agence française de développement (AFD), la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque ouest africaine de développement, qui autorisait un emprunt de 75 milliards de francs CFA, dont une partie remboursable à court terme, pour parvenir au doublement de la production d’acide phosphorique, sur la base de prévisions fantaisistes. Et quelle était la société en charge de ce miracle ? Technip, ex-filiale d’Elf, aujourd’hui menacée par une instruction judiciaire ouverte par le juge Van Ruymbeke pour ses pratiques occultes, et dirigée au moment des faits par M. Kremers. 2 milliards 100 millions de francs CFA de commissions versées par Technip se sont évaporées entre 1999 et 2000 et auraient grandement aidées à faire accepter le projet par les actionnaires, au premier rang desquels l’État sénégalais. [Walfadjiri, 13/06]. Plus récemment, Jérôme Godard, dirigeant d’Offnor, une société chypriote de négoce, avait été, selon ses dires, appelé à la rescousse en 2004 par le gouvernement sénégalais et avait « obtenu sur le marché financier international plus de 30 millions de dollars (près de 16 milliards 800 millions de francs CFA) de lettres de crédits ouverts en faveur des ICS. » Les contrats avaient été supervisés par le Premier ministre Macky Sall en personne, qui passe pour être un proche de Ousmane Ndiaye, le dirigeant des ICS, et qui se serait, selon un cadre de l’entreprise interviewé par Walfadjiri [30/01], rapproché de J. Godard à la demande du président Wade. J. Godard, mis en cause par les travailleurs des ICS, affirme s’être engagé « à acquérir des produits [...] aux prix du marché, ce qui était une première au vu des ventes antérieures » [Walfadjiri, 19/01]. « En retour, les contrats signés n’ont jamais été respectés par la direction des ICS », conclut le négociant français [Walfadjiri, 27/01] qui affirme « La marchandise est partie ailleurs » [Jeune Afrique, 22/01]. Mais l’argent n’a sans doute pas été perdu pour tout le monde. Suite à la mobilisation des salariés, le président Wade vient d’annoncer un nouveau plan de sauvetage des ICS [Le Soleil, 11/02] Mais qui paiera les dégâts ? Les contribuables, à coup sûr... À moins que le gouvernement sénégalais n’en profite pour privatiser complètement l’entreprise, pour une bouchée de pain.
Victor Sègre