Survie

A fleur de presse

Congo Kinshasa : A fleur de presse - Mai 2006 - Grands Lacs

(mis en ligne le 1er mai 2006)

www.mo.be
Tango mortel entre Kabila et Forrest
Comment le Congo dilapide ses richesses
John Vandaele, MO*31 :

« Selon le FMI, environ un cinquième de la population congolaise est dépendante d’une exploitation minière artisanale ou informelle. [...] Jusqu’en 1990, l’entreprise d’État Gécamines, qui possédait tous les droits miniers au Katanga, était la vache à lait des autorités, avec un tiers des revenus de l’État. [...] La Gécamines ne produit plus que 20.000 tonnes de minerai de cuivre, comparées aux 470 000 tonnes de 1985. [...] En 2004, Gécamines payait 450 000 dollars d’impôts. C’est négligeable par rapport aux centaines de millions que l’entreprise rapportait précédemment. Au cours des dix dernières années, des parts de Gécamines ont été progressivement privatisées via des joint ventures, l’entreprise apportant chaque fois les droits miniers et les partenaires privés de l’argent. [...] Ces joint ventures ont été conclues d’une manière particulièrement opaque et chaotique.

Au cours des années de guerre 1996-1998, Laurent-Désiré Kabila, le père de l’actuel président, a financé son armée en vendant des parts des droits miniers de la Gécamines à des partenaires privés étrangers. Après la guerre, cette voie de la privatisation a été poursuivie, notamment sous la pression de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. [...] Le part du secteur minier dans les recettes du gouvernement congolais ne représentaient plus que 0,18 % du revenu national, contre 22 % au Botswana, un pays riche en matières premières également. [...] Sur ces questions, différents rapports très intéressants ont été écrits. En 2004, au sein du parlement de transition congolais, une commission d’enquête parlementaire, dirigée par Christophe Lutundula, a été chargée d’analyser la validité des contrats conclus au cours des années de guerre 1996-1998. La commission a remis son rapport le 25 juin 2005, mais le bureau du parlement, dans lequel tous les grands partis sont représentés, refuse depuis plus de sept mois de le rendre public. De fait, les hommes au pouvoir - le président Kabila en tête - craignent de perdre de nombreuses voix aux élections à venir si les conclusions devenaient publiques. MO* a pu lire ce rapport. Les contrats qui ont été conclus concernant les richesses minières katangaises y sont critiqués sévèrement.

[... Les] joint ventures n’ont rapporté à la Gécamines, et donc au Congo, que très peu d’argent. A la grande fureur des travailleurs, qui ont assisté au dépecage de l’entreprise alors qu’eux-mêmes devaient attendre leurs arriérés de salaires. Pour le moment, les charges salariales de la Gécamines s’élèvent à 3 millions de dollars alors que les revenus annuels ne sont que de 1,5 million de dollars.

Forrest, vice-roi du Katanga

Les conclusions de la commission Lutundula concordent parfaitement avec le rapport sur la Gécamines rédigé en 2003 par International Mining Consultants (IMC) pour le compte de la Banque mondiale. Ce rapport, qui n’a lui non plus jamais été rendu public, a détecté le même schéma, celui d’une mise relativement faible des partenaires privés qui retiraient beaucoup plus de profits des joint ventures que la Gécamines. »

Rappelons que Forrest avait assuré la présidence du conseil d’administration de la Gécamines de novembre 1999 à août 2001 à la demande de Kabila, et qu’il avait été mis en cause dans un rapport du Sénat Belge en 2002 pour avoir utilisé cette situation avantageuse en récupérant au profit de son propre groupe les secteurs les plus rentables de la Gecamines. Ce constat est repris par le rapport de l’ONU de 2005 sur « l’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC ». Ce dernier classe également Forrest parmi les membre d’un « réseau d’élite », regroupant affairistes et politiciens congolais et zimbabwéen, qui « tire profit de l’instabilité qui règne en République démocratique du Congo », sur fond de trafics d’armes et de diamants. Georges Forrest est également consul honoraire de France à Lubumbashi...

Faut-il préciser que l’absence de réaction de la Banque Mondiale, qui a étroitement supervisé la « restructuration » du secteur minier, vaut encouragement de ce pillage en règle qui a alimenté le conflit en RDC ?

Enfin, on aimerait en savoir davantage sur la nécessité de faire appel à l’agence-conseil française Sofreco (voir Billets n° 139) qui cogère la Gecamines depuis décembre 2005. Dans une interview rapportée par Le Potentiel (13/04), Paul Fortin, le nouveau directeur délégué par la Sofreco déclarait ne pas vouloir « [mettre] à la discussion les contrats » dénoncés par les rapports cités ci-dessus, « mais [veiller] à ce que les partenariats respectent leurs engagements », lesquels sont, comme on l’a vu, quasiment inexistants... Il entend également faire procéder à un nouvel audit, alors qu’il en existe déjà plusieurs. On est dès lors en droit de se demander s’il s’agit bien de rendre la Gecamines viable et profitable pour les populations congolaises, ou s’il s’agit de lui porter le coup de grâce...

Victor Sègre

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 147 - Mai 2006
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