La Lettre du continent, Vu du Quai d’Orsay, 15/06 : " C’est tendance : tous les experts sortent leur rapport sur la Chine en Afrique : OCDE, AFD, ISS, etc. La note la plus intéressante du mois est celle du CAP du Quai d’Orsay. D’autant qu’elle est confidentielle. [...] L’étude du CAP est, dans sa conclusion, très sévère : "La Chine en Afrique apparaît comme essentiellement prédatrice. Par ailleurs la stratégie africaine de la Chine, qui permet aux régimes les plus contestables de la région de reconstituer une économie de rente fondée sur le pillage des ressources naturelles, sans réel transfert de richesse ou de savoir-faire, éloigne d’autant la réalisation des objectifs de gouvernance et de démocratisation". "
Heureusement que cette étude du 30 mai 2006 du Centre d’analyse et de prévision (CAP) du Quai d’Orsay est confidentielle. Cela évitera au Quai de sombrer dans un ridicule plus étendu. Comment se fait-il en effet que, depuis quarante cinq ans, les "régimes les plus contestables", pratiquant "une économie de rente fondée sur le pillage", tels ceux d’Houphouët, de Bongo, d’Eyadema, de Sassou, de Biya, de Déby, pour ne citer que ceux-là, tous installés et soutenus par la France, ont opprimé et oppriment encore les peuples africains, sans que le Quai d’Orsay ait produit la moindre note sévère ? Comment se fait-il que, dans les mines d’uranium du Niger et sur les plates-formes pétrolières du golfe de Guinée, après quarante ans d’exploitation, la totalité des cadres dirigeants sont français, tandis que les Noirs, végétant dans la pauvreté, sont cantonnés aux tâches les plus serviles, parce qu’il n’y a jamais eu de "réel transfert de richesse ou de savoir-faire", et sans que le quai d’Orsay s’émeuve ? Comment se fait-il que la France félicite, invite et fête régulièrement les vainqueurs des mascarades électorales, tel Gnassingbé Eyadéma en avril 2005, malgré les centaines de manifestants tués, Bongo en octobre 2005, malgré l’étalage impudent de la corruption électorale, Déby en avril 2006, appuyé sur la protection militaire française, condamnant ainsi toute émergence d’une quelconque "démocratisation", sans que le Quai d’Orsay proteste ? N’est-ce pas parce que la France - et le Quai d’Orsay est payé pour le savoir - était et est toujours "essentiellement prédatrice", n’en déplaise à Nicolas Sarkozy, dont la presse a relayé à grand bruit les déclarations contre la politique françafricaine, lors de son récent voyage au Mali et au Bénin, mais qui a cependant répondu à l’interpellation d’une jeune malienne que la France n’a bas besoin économiquement de l’Afrique. Si c’est vrai, pourquoi donc tant d’aigreur ? Á ce qu’on sache, la Chine n’a pas encore de base militaire en Afrique, pour défendre les régimes qu’elle aurait installés, elle n’a pas encore imposé le Yen africain, pour faciliter ses échanges économiques. Seulement il se trouve que les États-Unis et la Chine, au grand dam de la France, utilisent maintenant à leur profit, en les courtisant, des pouvoirs africains qui ont été mis en place en raison de leur servilité. De réels patriotes résisteraient mieux aux entreprises de conquête par l’ étranger, mais, en quarante cinq ans, ils ont tous été éliminés et leur exemple a dégoûté les jeunes ambitieux. L’indignation française, telle qu’elle se manifeste dans le document qu’on vient de citer, a quelque chose d’indéniablement comique pour qui connaît la politique menée depuis 1960. Mais qui connaît cette histoire ? Pratiquement personne. On dirait la fable du Loup devenu berger : "Un loup qui commençait d’avoir petite part aux brebis de son voisinage..." -
Odile Tobner