Survie

Togo : Accord politique global : Chirac veut aller vite pour sauver le pouvoir de Faure

(mis en ligne le 1er septembre 2006) - Jean-Baptiste Dzilan, alias Dimas Dzikodo

La dictature togolaise profite « opaquement » à la France. Point n’est besoin de le démontrer outre mesure. Le rôle joué par la Chiraquie dans les diverses manœuvres qui ont amené à consolider le pouvoir des Gnassingbé, à chaque fois que les fondements de celui-ci sont ébranlés grâce à des pressions populaires, est vivant dans les esprits. En clair, les pas posés pas la France dans le processus de démocratisation du Togo démontrent à satiété que l’Hexagone pense qu’il n’a rien à gagner quand le Togo sera un pays démocratique.

Mais subitement, dans les coulisses, c’est cette même France qui joue le rôle principal, en poussant les acteurs politiques togolais, ceux qui sont au pouvoir surtout, à faire des concessions feignant de pousser le Togo à corriger son mal récurrent : le déficit démocratique, qui profite tant à la France. La pression serait forte, à telle enseigne qu’apparemment le pouvoir semble lâcher du lest en faisant montre d’une ouverture d’un peu d’espace démocratique et des libertés fondamentales. Est-ce à dire que la France a daigné écouter la souffrance de ce peuple martyrisé et veut pousser ses poulains à amorcer un vrai chantier démocratique ? Loin de là ! Car, pour un vrai analyste politique, l’inoculation d’un sérum démocratique dans les veines politiques togolaises serait fatal aux intérêts et du pouvoir, et de la Chiraquie au Togo. Alors quelles peuvent être les vraies raisons qui sous-tendent l’empressement du pouvoir et de la France à voir un accord politique signé au Togo ?

La première raison est que la France et la Belgique attendent un hôte « embarrassant » au début du mois prochain. Et Faure Gnassingbé, puisqu’il s’agit de lui, fils et successeur d’un « ami personnel » de Jacques Chirac, doit s’attendre à la mobilisation d’une frange importante de la communauté française et étrangère, hostile à sa venue.

Pour ce faire, il a besoin d’un trophée de guerre à brandir lorsqu’il se confrontera à cette dure épreuve. Et rien n’est mieux trouvé qu’un accord politique signé par toute la classe politique togolaise et surtout par « l’opposition radicale elle-même ». Et là, il sera pris pour un faiseur de paix, et pour cela, à l’instar de son père, le rite initiatique, c’est-à-dire le baptême élyséen, lui sera accordé. La rencontre avec la presse étrangère lui sera aussi aisée, le chemin étant déjà bien balisé.

Ensuite, la reprise de la coopération avec l’Union européenne est garantie de facto et sera perçue non comme un trophée de guerre, mais plutôt une « coupe du monde politique » et un quitus pour le droit de vie et de mort sur les citoyens ou, au mieux, un label de légitimité pour ce pouvoir tant décrié à l’intérieur comme à l’extérieur.

Pour cela, il faut aller vite, mais alors très vite. Premièrement pour mieux plaider la cause du pouvoir à Bruxelles lors de la visite de Faure au début du mois prochain. Et deuxièmement, pour éviter la présidence tournante de l’UE qui échoit à l’Allemagne en janvier 2007, le pays d’Angela Merkel perçue comme très hostile à la dictature togolaise.

Enfin la France, qui se « réfugie » au Togo après ses démêlés ivoiriens, qui sont loin de trouver un début de solution, ne veut pas ouvrir un autre front dans un pays de la sous-région, membre de son pré carré. Alors, il faut sauver les apparences et pousser l’opposition à danser sur le rythme du dilatoire, que fait jouer la France à la dictature afin de se maintenir avec des armes négociées et achetées de partout pour « mater » toute velléité contestataire du système venant du peuple.

La réelle volonté de changement se percevra non pas seulement dans la nomination d’un Premier ministre de consensus mais surtout au retour de Faure Gnassingbé de son baptême élyséen.

Mais en attendant, jetons un bref regard sur le contenu du fameux Accord politique global qui fait tant jaser nos politiques et la Communauté internationale.

Accord politique global : Rien qu’un clinquant document de 25 pages

C’était tout sourire et sur leur trente et un que les politiques togolais ont paradé à la Salle Concorde le dimanche 20 août dernier pour signer le fameux « Accord politique global » qui, dit-on, ouvre de nouvelles perspectives pour le pays. Le tout au son de « l’Alléluia » de Haendel, et autres « Monzonlam ! » d’Antoine Tchoyou des applaudissements nourris des participants et des cornes Kabyè. Une ambiance de fête donc. Mais c’était trop beau pour être vrai. Pour preuve, une simple relecture de ce document de 25 pages montre des insuffisances inquiétantes et surtout crée un flou artistique qui permettra au pouvoir de naviguer en eaux troubles tout en se « carapaçonnant » derrière les bornes posées par le même document et l’opposition à toujours se complaire dans sa sempiternelle rengaine de victime. En clair, et ce n’est pas être un oiseau de mauvais augure, très bientôt, les rixes vont démarrer avec la phase d’application. D’ailleurs, Faure Gnassingbé avait prévenu : « ... aucun processus n’est linéaire ; il y aura des hauts et des bas, mais la finalité c’est d’atteindre les objectifs fixés ». Et l’« Accord politique global » n’en fixe clairement aucun, il n’y a que les partisans du statu quo qui se frottent les mains.

 La fonction du PM n’est pas restaurée

C’est la première grosse bourde qui saute aux yeux de tout observateur averti. Bien que les successifs tripatouillages de la Constitution consensuelle de 1992 aient transformé la valeureuse fonction de Premier ministre en celle d’un simple « coursier » du chef de l’État, et l’aient dépouillé de tous ses attributs pour la transformer en celle de « Premier des ministres », le fameux Accord politique global n’a pas daigné la restaurer. Cela relance la question du maintien du « coursier de Faure », Edem Kodjo. Il se dit dans bien de conservations que pour mettre à rude épreuve les nerfs des opposants, le RPT envisagerait de maintenir son paravent à la Primature. Cette information ne doit pas être prise à la légère, surtout que l’Accord politique global contient cette autre grosse bourde : la Primature n’est pas expressément acquise pour l’opposition. Point 4.1 : « Toutes les parties prenantes au Dialogue [...] proposent au Président de la République de former un gouvernement d’union nationale »

 La nomination du PM, pas totalement acquise pour l’opposition

Le coup de tonnerre est venu de la bouche de Pascal Bodjona, le Directeur de Cabinet de Faure Gnassingbé lors d’un déjeuner de presse organisé le mardi dernier. Il avait clairement signifié que cette nomination se fera à la discrétion de Faure Gnassingbé. Or, sortant d’une laborieuse et longue recherche de consensus, cela sonne comme un tocsin sépulcral. D’autres diront que l’Accord politique global et tout le tintamarre qui avait suivi n’étaient que de la poudre aux yeux : Ouaga n’a été qu’un échec qu’on a saupoudré pour faire naître un fol espoir chez les Togolais. La vérité est que cet accord n’interdit pas à Faure Gnassingbé de nommer qui il veut. Bien au contraire ! Il peut donc remettre Edem Kodjo. Ce serait la catastrophe bis.

 L’hypothétique gouvernement d’union

Corollaire direct de toutes les appréhensions évoquées jusqu’ici, le gouvernement d’union préconisé par l’accord n’existera pas. Il y a des risques que certaines parties prenantes au dialogue ne se sentent pas concernées après la désignation d’un Premier ministre qui n’a pas de poigne. Mais plus grave est la question du cadre électoral et surtout le mode du scrutin qui n’est pas défini et qu’on confie à un tel hypothétique gouvernement d’union. Arrivera-t-il à trancher là où les partis ont échoué ?

 La question de l’impunité

À ce niveau de l’Accord politique global, on se serait cru à la messe du dimanche, où l’on égrène des vœux pieux au bon Dieu. « Les parties prenantes reconnaissent que l’impunité des actes de violence à caractère politique est un phénomène grave que le Togo a connu de tout temps, notamment à l’occasion des processus électoraux » et patati et patata. Mais aucun mot sur la recherche, le jugement et la punition des auteurs, surtout ceux de l’année dernière qui ont installé Faure Gnassingbé dans le sang et qui sont connus de tous. De la salle Evala, en passant par Ouaga jusqu’à la salle Concorde, les politiques ont passé par pertes et profits les malheureux morts d’Aného, d’Atakpamé et les traumatisés à vie de Bè, Baguida, Avépozo, Kpogan, les oubliés du Ghana, d’Agamé au Bénin...

 La réforme de l’armée

C’est sur cette cruciale question qu’apparaissent toute la fragilité et l’aspect clinquant de l’Accord politique global. Il n’y avait que des mots et encore enfouis sous la rubrique III intitulée : la poursuite des réformes constitutionnelles et institutionnelles nécessaires à la consolidation de la démocratie, l’État de droit et la bonne gouvernance. Et on retrouve aux points 3.5 et suivants, enfin, la question de la réforme de l’armée à peine évoquée : « Les parties prenantes au Dialogue national recommandent au gouvernement d’étudier les questions relatives à la réforme de l’Armée et des Forces de sécurité ». Pour des institutions qui se sont toujours illustrées en mal aux yeux des Togolais, l’Accord politique global aurait dû poser d’autorité ce principe aussi bien que celui qui concerne la question précédente de l’impunité. Mais hélas, trois fois hélas...

En conclusion, l’Accord politique global n’a été qu’un gigantesque coup de bluff qui ne fait que légitimer Faure Gnassingbé, un marché de dupes d’où, encore une fois, l’opposition togolaise est sortie sans marge de manœuvre, avec un avenir incertain.

Dimas Dzikodo

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 150 - Septembre 2006
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