Survie

Congo-Brazzaville : Temoignage

(mis en ligne le 1er octobre 2006) - Fabrice Tarrit

Interview de Christian Mounzeo et Brice Mackosso, Propos recueillis par Fabrice Tarrit.

" Au Congo B, pas de protection possible pour nous, le gouvernement a tous les pouvoirs "

Les militants congolais des droits de l’homme Christian Mouzeo et Brice Mackosso, engagés dans la campagne Publiez ce que vous payez Congo ont été arrêtés et maintenus arbitrairement en détention en avril dernier (voir Billets du mois de mai). Leur travail d’enquête sur l’affaire des disparus du Beach et sur les malversations de la gestion pétrolière inquiète sérieusement le régime de Sassou N’Guesso. Les deux hommes ont cependant pu faire un déplacement en Europe en septembre, notamment à Paris où nous les avons rencontrés.

 [Billets d’Afrique] Comment avez vous pu quitter le Congo dans le contexte actuel ?
 Christian Mounzeo et Brice Mackosso : Assez facilement. Nous avons reçu une invitation du gouvernement allemand, du gouvernement norvégien, ainsi que du Secours Catholique. Nous avons fait une demande de visa pour la France, ce qui a provoqué un branle-bas de combat au niveau de l’ambassade de France et du Ministère des Affaires Étrangères français, qui ne savaient pas quelle attitude adopter. Ils ne voulaient surtout pas fâcher le président Sassou. Ils croyaient que nous étions sous contrôle judiciaire, ce qui n’est pas le cas. Il n’empêche que dès notre départ, il a été annoncé dans les médias que nous avions quitté précipitamment le pays pour échapper à la Justice, que nous allions rejoindre les rangs de l’opposition, à Paris. Tout cela fait partie d’un vaste plan de dénigrement à notre égard.

 Parlez nous un peu de la campagne de calomnie dont vous faites l’objet au Congo ?
 CM et BM : Tout cela a commencé bien avant notre arrestation. Tous les coups sont permis pour décrédibiliser notre action. Du fait de notre plaidoyer international pour la transparence des revenus pétroliers on nous a traité de valets de l’impérialisme, instrumentalisés pour détruire le Congo. On affirme que nous voulons faire obstacle au point de décision de l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endéttés, NDLR) et de contribuer ainsi à ce que les fonctionnaires se retrouvent sans salaire, les étudiants sans bourses. Nous avons été désignés comme des ennemis de l’État à la télévision par des conseillers de Sassou. Brice Mackosso a été accusé de préparer un coup d’État. Cette campagne, orchestrée par des organes de presse comme " Le Choc " et " le Coq ", ainsi que par la TV nationale a pour but de susciter une colère populaire à notre égard. On a réussi à instrumentaliser une partie de la population contre nous, y compris des militants des droits de l’homme qui ne nous ont pas défendu, malgré les conditions arbitraires de notre détention.

 Pensez-vous que cela puisse aboutir ? Craignez vous pour votre vie, avez vous des protections ?
 CM et BM : Au Congo il n’y a pas de protection possible. Le gouvernement a tous les pouvoirs. Heureusement la majorité des Congolais n’est pas dupe en ce qui nous concerne. Beaucoup de gens nous reconnaissent dans la rue, disent qu’ils nous comprennent. Les audiences de notre procès étaient à la limite du meeting, il y avait des applaudissements quand nous prenions la parole. Mais trop peu de personnes veulent ou peuvent s’engager dans des luttes citoyennes actuellement au Congo. Certains amis s’excusent de ne plus pouvoir s’afficher avec nous. Les vrais soutiens restent d’autant peu nombreux que beaucoup d’argent circule pour " acheter " les gens, notamment depuis que les cours du pétrole ont flambé. Sassou a trop d’argent actuellement. La presse se laisse corrompre, les journalistes reçoivent des " per diem " énormes pour accompagner le président dans tous ses déplacements. Certains journaux sont aux mains de proches du pouvoir. Si vous lisez la presse au Congo vous serez perdus, elle n’est plus depuis longtemps l’indicateur de ce qui se passe réellement dans le pays.

 On sait que beaucoup de vos archives et dossiers ont été confisqués ou volés, quelles sont ces informations qui inquiétaient tant le pouvoir ?
 CM et BM : Beaucoup de matériel a été saisi dans nos domiciles, où nous pensions qu’il était plus à l’abri que dans les locaux associatifs. Nous n’avions pas de copies. Les dossiers disparus concernent la campagne Publiez ce que vous payez ! et la gestions du pétrole, les affaires concernant l’impunité, des dossiers sur les élections et d’autres sur le processus de paix et le dialogue congolais. Nous étions sur le point de sortir un rapport qui devait faire " boum ! ", avec de nombreux faits étayés concernant des privilèges accordés dans l’embauche de fonctionnaires, la triche dans les résultats de concours militaires, qui permettaient de pointer du doigt une vraie politique clanique visant à privilégier les ressortissants de tel village, de telle région, etc.

 Autre matériel saisi, les enregistrements des conférences du contre-sommet France-Afrique de 2003 à Paris, du contre-G8 d’Annemasse, des photos du plaidoyer Publiez a ce que vous payez ! au siège de Total, à Paris. Des photos prises par Brice de paysans sans terre du Brésil ont été présentés comme la preuve qu’il était passé par un camp d’entraînement militaire ! Comment s’est passée votre arrestation et votre détention ? Quels chefs d’accusation ont été invoqués ?
 CM et BM : Nous avons été arrêtés pour de prétendus détournements de fonds, ce qui n’aurait justifié en aucune manière une mise en détention. Un policier s’est presque excusé en nous lisant l’ordre du procureur de nous priver de liberté avant qu’une enquête soit ouverte. Les interrogatoires du procureur étaient bidons, celui-ci tenait surtout à nous faire savoir que le mandat d’arrêt relevait de son pouvoir discrétionnaire. Le juge d’instruction ne nous a entendu et n’a délivré un mandat de dépôt officiel que 5 jours après notre arrestation. Il y a eu beaucoup de violence verbale et psychologique à notre égard, mais pas physique. Nous pensons cependant qu’une des premières intentions du pouvoir était de nous tuer lors de notre première nuit de détention (les 2 hommes sont restés trois semaines en prison et doivent en grande partie leur libération à un mouvement de solidarité internationale lancé par de nombreuses ONG, dont Survie, et quelques gouvernements et institutions, NDLR). Tout cela est la conséquence de notre implication dans l’affaire des disparus du Beach de Brazzaville. Il y a également d’autres enjeux : nous empêcher de participer à la commission EITI (initiative internationale lancée par Tony Blair sur la Transparence des revenus de l’extraction de matières premières, NDLR), nous éloigner du groupe d’observation de l’annulation de la dette, du groupe de surveillance de la corruption, etc. Et puis au Congo, nous entrons dans la préparation des législatives qui doivent avoir lieu en 2007. C’est un scrutin important, pour lequel nous réclamons la création d’une commission électorale indépendante. Au pays même le parti majoritaire est divisé et dans la population, la colère monte.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 151 - Octobre 2006
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