" Vous avez demandé à la France des efforts supplémentaires en faveur de l’Afrique. À quoi pensez-vous précisément ? [...] Nous avons discuté de priorités avec le gouvernement français : quels pays doivent bénéficier de programmes d’aide, dans quels secteurs, quels donateurs doivent être maîtres d’œuvre. Autre sujet de discussion, la quinzième reconstitution des fonds de l’Association internationale de développement (AID), qui assure la part concessionnelle des activités de la Banque mondiale, sous forme de prêts à faible taux ou de dons. La France est leader en ce domaine et l’Afrique en est le principal bénéficiaire avec 4,5 milliards de dollars l’an dernier. C’est encore très insuffisant. Même si les pays riches sont confrontés à des problèmes budgétaires, ce serait une erreur de réduire des financements qui représentent peu de chose compte tenu de leurs ressources. J’aimerais que le Japon et les États-Unis fassent plus. C’est dans leur intérêt. Mais, selon les sondages, les électeurs américains sont persuadés qu’une part importante du budget fédéral est destinée à l’aide au développement. Ce qui n’est pas le cas. Ils estiment aussi que l’argent dédié à cette aide va être gaspillé. Ce qui fut le cas, malheureusement, dans le passé au Congo, qui est un exemple type de ce que l’on ne doit pas faire en matière d’aide. Après avoir bénéficié d’une annulation de leur dette, certains pays pauvres se réendettent, sans aucune conditionnalité, auprès de pays comme la Chine et l’Inde. Cela vous inquiète-t-il ? C’est un problème qui ne se limite pas à la Chine et à l’Inde. Vous pourriez ajouter le Venezuela. Il est vrai qu’il existe un risque réel de voir les Pays pauvres très endettés qui ont bénéficié d’un allégement de dette redevenir à nouveau très endettés. Nous essayons de gérer ce problème en fixant les limites d’une dette soutenable à long terme. C’est complexe car tout dépend de l’utilisation des nouveaux emprunts. S’il s’agit d’acheter des voitures de luxe pour les ministres, c’est de la mauvaise dette. En revanche, une bonne dette procure un haut rendement, relève le revenu national et facilite le remboursement de la dette nationale dans le futur. Ce qui est crucial, c’est d’avoir tous les éléments sur la table, de savoir ce que font réellement emprunteurs et prêteurs. Certains dénoncent les méfaits environnementaux liés aux projets chinois d’exploitation des matières premières, en particulier au Gabon. Partagez-vous ces craintes ? Mon inquiétude porte sur l’ensemble de l’Afrique. Les principes de l’Équateur [pour déterminer, évaluer et gérer les risques sociaux et environnementaux dans le domaine des financements de projets] ont été mis en place. Près de 80 % des banques commerciales dans le monde respectent ces principes lorsqu’elles financent des projets. Les grandes banques chinoises, elles, ne les appliquent pas. C’est vrai qu’elles sont relativement nouvelles dans ce genre d’activité en Afrique. Mais il ne faudrait pas qu’elles commettent les mêmes erreurs que la France et les États-Unis avec le Zaïre de Mobutu... Soyons honnêtes, cela a été terrible, un véritable scandale. [...] L’une des réponses au mal-développement est la lutte contre la corruption. Quelle a été la réaction des industriels français quand vous leur avez présenté votre stratégie, au Medef ? Les industriels français soutiennent fortement notre action mais estiment, et j’en conviens, que ces problèmes ne pourront pas être réglés en une nuit. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est leur engagement à créer un environnement où leurs décisions puissent être basées sur des considérations économiques et non sur l’attribution de "récompenses" plus ou moins généreuses. En fait, les pays où sévit la corruption changent s’ils en ont la volonté et non quand les décisions sont imposées de l’extérieur. Les populations sont souvent les premières à exiger des institutions responsables, à même de rendre des comptes. C’est de plus en plus souvent le cas en Afrique, même si le mouvement n’est encore ni général ni uniforme. Quelles incitations et quelles sanctions envisager ? L’outil le plus puissant, c’est d’impliquer les gens eux-mêmes. En mettant en lumière ce qui se passe dans l’ombre, cela freine parfois la corruption. Publier les avoirs des personnalités officielles par exemple, suivre l’utilisation des ressources tirées du pétrole, assurer la transparence de la part des gouvernements et des compagnies pétrolières pour s’assurer de l’absence de pots-de-vin dans les contrats. C’est un important début. Sur le terrain de l’aide, la Banque mondiale est concurrencée par les " nouveaux philanthropes " tels que Bill Gates, Warren Buffett, Bill Clinton, Soros, dont les fondations ont des moyens supérieurs aux vôtres. Quel reste votre rôle ? Ce ne sont pas des concurrents. Il y a un tel besoin de ressources qu’il est bon de voir arriver de nouveaux acteurs. La question est de savoir où va l’argent, s’il est utilisé de manière appropriée pour le développement et où chacun doit travailler. " (Paul WOLFOWITZ, président de la Banque mondiale. Propos recueillis par Françoise Crouïgneau et Richard Hiault, Il ne faut pas que la Chine commette en Afrique les erreurs passées de la France et des États-Unis, Les Échos le 24/10).
Il faut des programmes d’aide. Il ne faut pas réduire les financements Nord-Sud. Mais il ne faut surtout pas des financements Sud-Sud, sinon on ne contrôlerait plus rien, ce qui constituerait un vrai désastre humanitaire pour nos banques. Des pauvres qui se financent entre eux, quelle horreur ! Certes nous avons financé toutes les fortunes gigantesques, et pas seulement les 4x4, des chefs d’État des pays sous-développés, depuis des décennies, nous avons financé aussi des projets inutiles et ruineux, sauf pour nos entreprises. Nous sommes donc très bien placés pour savoir ce qu’il ne faut pas faire et nous ne le ferons plus bien sûr, c’est juré, serment d’ivrogne. Nos chefs d’entreprise sont devenus des champions de vertu. La preuve, le 15 novembre prochain, moi Paul Wolfowitz, je vais participer aux journées européennes sur le développement. Denis Sassou Nguesso viendra nous dire comment faire pour sortir les peuples africains de la pauvreté. C’est un expert. Il s’est, lui-même et sa famille, très bien sorti de la pauvreté. Et s’il n’y avait pas Bill Gates, que deviendraient les pauvres ? Quant à la corruption, c’est vrai, moi, président de la Banque mondiale, je n’y peux pas grand-chose, comme on a pu le vérifier depuis que la banque existe, mais les pauvres n’ont qu’à s’en occuper eux-mêmes que diable ! C’est très simple, il n’y a qu’à vérifier les comptes dans tous les paradis fiscaux, demander aux patrons et aux présidents la liste de leurs biens. C’est pas sorcier !
Odile Tobner