Survie

Congo-Brazzaville, Gabon, Centrafrique : Maurel and Prom, ou comment faire du neuf avec du vieux

(mis en ligne le 1er novembre 2006) - Victor Sègre

La société Maurel & Prom vient d’annoncer que son chiffre d’affaire avait été multiplié par 3 et son bénéfice net par 7,2 par rapport au premier semestre 2005 (103,7 millions d’euros de bénéfice net, contre 14,4 millions d’euros l’année précédente, soit une augmentation de +620 %). Cette entreprise, que le journal Libération qualifiait encore cet été (26/07) de " petite entreprise de prospection et d’extraction pétrolière " est devenue la deuxième pétrolière française après Total. L’occasion de faire une petite rétrospective sur la trajectoire de son PDG. Un parcours de haute voltige Jean-François Hénin, proche de l’Opus Dei est un ancien para. Agé de 62 ans aujourd’hui, il a acquis le surnom de " Mozart de la finance " quand il était patron de Thomson Finance, puis de Altus Finances, filiale du Crédit Lyonnais vouée aux opérations douteuses et aux montages financiers offshore. Surnom qu’il n’a pas usurpé, puisqu’il est l’un des principaux compositeur du trou du Crédit Lyonnais, qui coûtera la bagatelle de deux dizaines de milliards d’euros aux contribuables, mais qui fera notamment la fortune du protégé (et prête nom ?) de Chirac, François Pinault. On croise aussi son nom dans l’affaire colossale des vrais-faux billets de Bahreïn [cf. Billets n°64]. Mais il restera surtout connu pour avoir orchestré le rachat frauduleux de l’assureur américain Executive Life. Ayant finalement accepté de plaider coupable dans cette affaire pour en finir avec un mandat d’arrêt international lancé par les États-Unis, il ne sera finalement condamné qu’à une amende de 1 million de dollars, à 5 ans de mise à l’épreuve et d’interdiction du territoire américain, par un juge de Los Angeles en juillet dernier. Une misère au regard du milliard d’euros qu’il en coûtera, encore une fois, aux contribuables français, l’État ayant préféré négocier des amendes plutôt que de risquer des procédures pénales avec peines d’emprisonnement contre de grands patrons français. Hénin avait peu de temps auparavant reçu le prix du " capitaliste de l’année ", décerné par Le Nouvel Économiste et remis par Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, et Thierry Breton, ministre de l’Économie [cf. Le Canard Enchaîné, 21/12/2005]. Il fallait bien ça pour le rassurer. Sorti quasi indemne du scandale du Lyonnais, Hénin s’est refait une santé dans " les pays qui veulent bien [l’] accueillir " [Libération, 30/04/2005], dit-il. Étonnamment, cela rend également service aux amis de Chirac en difficulté financière. En 1999, il se porte acquéreur de plusieurs milliers de km² de concessions forestières et de quelques puits de pétrole au Congo au moment où Sassou Nguesso vient de faire à nouveau main basse sur le pays. La même année, il achète : 150 000 hectares d’un seul tenant de forêt en Centrafrique juste avant la campagne électorale de Patassé prise en charge par les réseaux Pasqua. Pas sectaire, on le retrouve ensuite dans l’entourage de Bozizé. Hénin fait également dans l’or et le diamant, et a des connaissances communes avec Bob Denard. C’est ce que certains journalistes de complaisance appellent admirativement " un aventurier " [1] : " Avec une mise de départ de quelques millions d’euros, investis au Congo, il a réussi à créer, en quatre ans, une société pétrolière, qui vaut 2 milliards, autant qu’un groupe centenaire comme Havas " [Le Nouvel Observateur, 12/05/2005] Une fortune sassouesque Maurel & Prom est maintenant présente au Gabon, au Sénégal, en Tanzanie, au Venezuela, en Colombie, et négocie actuellement en Syrie. Mais c’est au Congo qu’elle réalise la moitié de son chiffre d’affaire, avec un gisement (M’boudi) qui suscite bien des convoitises. " La hausse des prix du pétrole a entraîné un durcissement des lois fiscales ", explique Jean-François Hénin, " mais la situation est rétablie " [Afrique centrale info, 19/10]. La Société Nationale du Pétrole Congolais est en effet rentrée pour 10 % dans l’exploitation de ce gisement en mars dernier. En échange de quoi les droits de Maurel & Prom sur le gisement sont prolongés jusqu’en... 2030 ! Une pratique qui rappelle furieusement les méthodes d’Elf, ce qui n’est sans doute pas tout à fait un hasard. Maurel & Prom a en effet recyclé certains des cadres de cette dernière, qui n’ont pas rejoint Total ou qui n’y sont pas restés. Au chapitre des bonnes relations, notons aussi que la banque d’investissement Messier Partners, créé en 2003 par Jean-Marie Messier, ancien PDG de Vivendi, est l’un des conseillers financiers de la firme pétrolière. Enfin Alain Gomez, (vieil ami de Hénin, ancien PDG de Thomson au moment de la vente des frégates à Taïwan et " parrain " de Philippe Jaffré pour son accession à la tête d’Elf), a été plébiscité par les actionnaires pour devenir administrateur du groupe en décembre dernier. Bref, la petite nouvelle Maurel & Prom a comme un air de déjà vu...

Victor Sègre

[1Voir par exemple les deux articles cités dans ce paragraphe.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 152 - Novembre 2006
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