Xavier Harel, Afrique, pillage à huis clos. Comment une poignée d’initiés siphonne le pétrole africain, Fayard 2006 (280 p., 19 €). On entend dire un peu partout que le pétrole est une malédiction pour le pays qui en possède. Si le citoyen angolais ou camerounais, privé des droits élémentaires, peut dire cela, avec une ironie amère, il est indécent d’entendre cette assertion dans la bouche du président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz (cf. Ils ont dit) ou dans un séminaire de l’AFD (Agence française de développement), puisque ces organismes n’ont de raison d’exister que s’ils mettent en œuvre efficacement les moyens dont ils disposent pour instaurer une saine gestion dans les pays dont ils prétendent s’occuper. Autant se dissoudre eux-mêmes s’ils constatent leur impuissance. Mais ce n’est pas d’impuissance qu’il faut parler à leur sujet, c’est plutôt de passivité et de complicité. Le pétrole n’est une malédiction ni pour la Norvège, ni pour l’Arabie Saoudite, ni pour le Venezuela. Si différents que soient ces pays, ils ont en commun qu’ils sont ou sont devenus, par leur tradition, leur richesse, ou leur volonté, indépendants des organisations internationales dominées par les grandes puissances. Ce n’est donc pas le pétrole qui est une malédiction, mais la dépendance. La malédiction des Africains c’est d’être la proie d’une oligarchie corrompue liée aux puissances financières et politiques extérieures. C’est l’activité de cette " poignée d’initiés " que décrit remarquablement Xavier Harel. Ils sont capables de ruiner les pays les plus riches comme le Congo, l’Angola ou le Nigeria. Si un Patrick Maugein ou un Marc Rich sont une malédiction pour l’Afrique, c’est parce que nous tolérons les agissements de Jacques Chirac légitimant Denis Sassou Nguesso. Il y a le triangle infernal formé par un affairisme monstrueux, couvé par le couple maudit que forment le roi nègre et le président blanc, indissolublement rivés l’un à l’autre. Dans ce triangle circulent l’argent et les armes qui nourrissent le parasite en un cercle vicieux. Plus il est nocif, plus il est fort. En Afrique et en Afrique seulement le pétrole est une malédiction, parce que l’Afrique a été réduite en esclavage. Il ne faut guère compter sur le parasite à trois têtes pour cesser de pomper la substance dont il se nourrit. Et on sait qu’il faut couper les trois têtes en même temps, si on ne veut pas qu’elles repoussent.
Odile Tobner