Survie

POINT DE VUE - DE EMMANUEL CATTIER : Ma lecture de Ruzibiza (Rwanda "L’histoire secrète") :

(mis en ligne le 1er décembre 2006) - Emmanuel Cattier

D’après un couple rwandais qui m’affirme avoir fréquenté Abdoul Ruzibiza après le génocide, le témoignage de Ruzibiza serait un montage de toute pièce, dont l’évocation les plonge dans un état goguenard. Ruzibiza n’aurait, par exemple, jamais exprimé devant ses connaissances l’idée qu’il y aurait eu un génocide des Hutu, comme il le dit dans son livre. Réfugié Tutsi au Burundi avant de rejoindre le FPR, Ruzibiza n’aurait pas pu avoir la confiance de Kagame pour participer à une opération aussi secrète qui aurait été réservée au petit cercle des réfugiés d’Ouganda. Simple aide-soignant dans le maquis à Ruhengeri, il n’aurait jamais été dans le bataillon FPR installé au CND par les accords d’Arusha. D’autre part la multiplicité des personnes évoquées par Ruzibiza qui auraient eu à connaître de cette affaire leur semble absurde car une opération de cette envergure, si hautement sensible, aurait été nécessairement entourée du plus grand secret et connue d’un très petit nombre de personnes. Ils font remarquer que même des officiers de l’APR ne savent pas, quinze ans après, comment le chef historique du FPR, Fred Rwigema, a été tué le 2 octobre 1990... Pour ma part, je ne peux que remarquer que le témoignage de Ruzibiza ne laisse apparaître aucune difficulté importante à aller et venir du CND à Masaka pour effectuer ce tir de missiles. C’est hautement improbable. Cette zone était quadrillée par la garde présidentielle rwandaise et il est impossible que le "network commando" n’ait eu qu’à cacher les missiles dans une camionnette sous quelques bâches ! Aucune anecdote ne ponctue ce récit d’une pauvreté laconique, comme si on avait voulu éviter la moindre évocation de détails facilement contestables sur l’environnement local... ou plus bêtement, comme si cela avait été écrit pas des gens sans grande imagination littéraire pouvant se substituer à une expérience authentique. D’une manière générale, le style d’écriture n’est absolument pas rwandais. C’est d’une fadeur grise de tiroir occidental tiré d’un vieux bureau métallique où traine une vague odeur de cendrier et quelques bouts de papiers. Un exemple parmi mille, pour la reconnaissance des lieux, il raconte qu’ils utilisaient des motos : "ceux qui les conduisaient s’habillaient en tenue d’agronome et portaient des casques cachant le visage pour n’être pas reconnus. Deux véhicules ont été utilisés dans les derniers jours avant l’attentat : un minibus, souvent conduit par un dénommé Jean-Marie Munyankindi, et une camionnette, conduite par Paul Muvunyi. Celui-ci a d’ailleurs changé la peinture de la camionnette et porté sur les portières l’inscription : "Commune de Kanombe". Tout cela pour éviter les soupçons", page246. Page 248 : "le jour de l’attentat [...] la camionnette Toyota 2200, conduite par le sergent Didier Mazimpaka, avait déposé les deux missiles à Masaka sur le lieu du tir. Le véhicule a aussi fait plusieurs fois le tour du rond-point, ensuite il est sorti vers Remera. En attendant l’arrivée imminente de l’avion présidentiel, ledit véhicule effectuait des va-et-vient entre Kabuga-Nyagasambu et la localité connue sous le nom de 15° (km)"... Et les barrages de contrôles d’identité ?! Est-ce crédible ?. Et ça dure 500 pages comme cela "l’histoire secrète" du Rwanda ! Tout au long du livre on a l’impression qu’on veut montrer tout ce qu’on sait de l’extérieur sur le FPR, mais nulle part on n’a l’impression d’un récit raconté par quelqu’un qui a vécu ces événements de l’intérieur. Cette multiplicité incroyable d’informateurs au courant de l’attentat contredit complètement la réputation que les "français biens informés" veulent donner par ailleurs de Kagame : chef secret, cruel et inflexible qui tue tous ceux qui le trahissent... Quelle peut être l’origine de ce bluff manifeste ? Quoi qu’il en soit, Claudine Vidal, André Guichaoua, Pierre Péan et le juge Bruguière ne font pas preuve d’un grand sens critique dans cette affaire. Mais chacun d’eux n’a sans doute pas le même niveau d’implication dans ce que je considère comme une vaste supercherie.

Emmanuel Cattier Membre du comité de pilotage de la Commission d’enquête citoyenne (CEC) pour la vérité sur l’implication française dans le génocide des Tutsi (http://cec.rwanda.free.fr)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 153 - Décembre 2006
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