Le Soudan est le premier pays africain en superficie. Grand comme presque cinq fois la France, il compte 33 millions d’habitants. Ethniquement il est à la jonction entre le monde arabe et le monde noir, et non "africain", comme l’écrivent bizarrement certains journaux. Cette opposition est plus culturelle qu’ethnique du fait d’une cohabitation qui date du VIIe siècle. Cependant les "arabes" soudanais, bien que le plus souvent noirs eux-mêmes, sont politiquement dominants. Le général Omar El Bechir, arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1989, n’est que le dernier en date des dirigeants arabes, qu’ils soient nationalistes, marxistes ou islamistes. Cet affrontement a été depuis toujours violent dans le Sud Soudan, où la plus ancienne guerre civile africaine, qui a duré près de quarante ans, faisant deux millions de morts, entre musulmans et non musulmans, a pris fin théoriquement en 2005, lorsqu’une constitution de type fédéral, accordant une certaine autonomie aux 26 provinces, a été adoptée. Mais des dissidences sont apparues également d’une part dans l’Est, où un accord de cessez-le feu est intervenu le 14 octobre 2006, mettant fin à un conflit qui dure depuis plus de dix ans, et, d’autre part, dans l’Ouest, où la région du Darfour est ravagée par les violences depuis le début de 2003. La rébellion est le fait de deux organisations principales, le SML, Mouvement pour la Libération du Soudan, et le JEM, Mouvement pour la Justice et l’Egalité. Des négociations en vue d’un cessez-le-feu ont eu lieu au Nigeria. La majorité du SML a signé le 5 mai un accord de paix avec le gouvernement soudanais. La faction minoritaire du SLM ainsi que les rebelles du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) ont rejeté cet accord.
Depuis 2004 l’UA intervient en simple observateur de l’application des accords successifs, ce qui n’a pas empêché les combats de se poursuivre. Pour réduire la rébellion Khartoum compte plus sur les milices arabes Jenjawid que sur l’armée fédérale. Les exactions contre les populations civiles relèvent du crime contre l’humanité. On évalue le chiffre des victimes à plusieurs centaines de milliers et deux millions de personnes, sur les six millions que compte le Darfour sont déplacées, soit dans les camps au Tchad, soit au Soudan même, où Khartoum compte 7 millions d’habitants, dont deux millions de déplacés des diverses régions en guerre.
Pour tenter de remédier à ce désastre humanitaire la communauté internationale a voté à l’ONU une résolution pour envoyer des casques bleus assurer la sécurité des populations du Darfour. Khartoum s’oppose jusqu’à présent à cette intervention, considérée comme hostile. Il faut donc que l’ONU affronte le risque de faire la guerre, elle en a le devoir. En attendant la force déployée par l’UA est prolongée pour six mois mais elle manque cruellement de moyens. La France vient d’offrir une obole mais les financements promis par les États arabes pétroliers se font attendre. L’UA demande à Khartoum de désarmer les milices Jenjawid. Cette demande doit être relayée et appuyée. Tony Blair a proposé d’interdire l’espace aérien du Darfour, pour mettre fin au bombardement des régions rebelles et de mettre en place un blocus de Port Soudan, seul débouché maritime.
Pendant les massacres en effet les affaires continuent. La chambre de commerce de Paris invitait il y a quelques jours à une rencontre pour proposer aux hommes d’affaires les opportunités offertes par le Soudan, dont les ressources font saliver les grandes puissances.
Il est excessif de dire qu’on ne parle pas du Soudan sur lequel le silence ne peut être comparé à celui qui pèse sur la Tchétchénie dont un quart de la population civile a péri dans d’indicibles traitements et dans l’indifférence générale, tandis qu’on assassine les journalistes qui veulent lever le voile. Mais parler ne suffit pas. La mobilisation humanitaire se révèle tristement inefficace. Un arsenal sérieux de moyens de pression doit être mis en place sur toutes les parties pour qu’elles désarment. L’accès aux victimes doit être assuré pour les secours humanitaires.
Sur la frontière du Soudan la France a mis le doigt dans l’engrenage de la manière forte. Elle a préféré écraser la rébellion en Centrafrique, plutôt que de conseiller à Bozizé, incapable de relever ou même de gouverner son pays, de négocier. Elle prétend éviter ainsi la "somalisation" du pays, c’est-à-dire son dépeçage par les chefs de guerre. C’est bien mal parti si on regarde ce qui se passe au Tchad et au Soudan, où la guerre sans fin s’est installée.
Odile Tobner