Sous couvert de lutte contre le terrorisme, le régime de Moubarak constitutionnalise l’état d’urgence et verrouille sa succession. Côté français, on regarde ailleurs...du côté du marché où les entreprises françaises se sont bien implantées.
Le gouvernement égyptien vient d’adopter 34 amendements constitutionnels d’importance, imposés en bloc au parlement puis soumis à référendum. Les forces d’opposition et organisations de défense des droits de l’homme appelant au boycott, le scrutin n’a attiré que 27% des votants selon le pouvoir. 5 fois moins selon des organismes indépendants de contrôle des opérations de vote. Amnesty International a dénoncé « la plus grave érosion des droits humains depuis 27 ans » ; depuis l’instauration de l’état d’urgence, toujours en vigueur, après l’assassinat de Sadate en 1981. L’ONG a également dénoncé les incarcérations illégales, les tortures et les exécutions de civils prononcées par des tribunaux militaires. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, la réforme vise à durcir et à institutionnaliser une législation d’exception servant en pratique à étouffer toute contestation politique et sociale.
La constitution permettra désormais à la police de contrôler sans limite les communications privées, procéder à des arrestations arbitraires, et faire juger hors des tribunaux ordinaires. La vie politique en est également affectée. Le président s’arroge le droit discrétionnaire de dissolution de l’Assemblée nationale. La supervision des élections par les juges, qui s’étaient élevés contre les fraudes massives de 2005, est déléguée à des fonctionnaires plus dociles. Enfin l’interdiction de se constituer en parti politique sur une base religieuse vise directement les Frères musulmans, principale force d’opposition, qui pourraient ainsi se voir interdire d’élection laissant la voie libre au fils Moubarak
Interrogé lors du point presse du 27 mars, le porte parole du quai d’Orsay a rappelé que la France avait « salué » l’introduction d’un pluralisme pourtant étroitement contrôlé lors de l’élection présidentielle en 2005. Il a également estimé que « ce qui est important, au-delà de ce référendum spécifique, c’est bien que la direction soit gardée et que l’Égypte évolue dans le sens de la démocratisation et de l’ouverture du pays. ». Une déclaration, cynique et hypocrite, au mieux absurde. Quelques jours plus tard (13/04), à propos d’une visite semi officielle de Moubarak en France, le même porte parole donnait un début d’explication à ses contorsions linguistiques : « Vous savez qu’il y a des rencontres très fréquentes et des relations très étroites entre le président de la République et le président Moubarak ». On se souvient, en effet, que ce dernier avait rendu quelques menus services à la Françafrique. Comme la livraison d’armes au régime rwandais avant 1994. Mais le personnage est aussi jugé fréquentable par le reste de la classe politique : il devait en effet, pour la 2ème fois, rencontrer Ségolène Royal et François Bayrou. Le président Égyptien aura choisi finalement de rencontrer le seul Sarkozy, lequel lui a promis « la continuité » (Le Monde, 17/04).
L’aveuglement volontaire des autorités françaises sur la véritable nature du régime Égyptien a aussi des motivations sonnantes et trébuchantes. Un rapport de la mission économique de l’ambassade de France en Égypte (février 2007) note une « nette amélioration du climat général des affaires ». L’Egypte, sous la pression du FMI, est engagée dans un processus de privatisation depuis 1991, accéléré en 2004. Les entreprises françaises en ont largement profité. Elles sont bien placées dans les secteurs bancaire (rachat d’Egyptian American Bank par le Crédit Agricole en mars 2006), touristique (Accor, 1er opérateur du pays), du fret (CMA-CGM 1er armateur), des télécommunications (France Télécom n°1 dans la téléphonie mobile), mais aussi de la construction (Ciment Lafarge), de la pharmacie (Sanofi Aventis), de l’agroalimentaire (Bongrain, Danone) ou de la distribution (Carrefour), de l’eau, de l’automobile, de la chimie, etc… Les AGF et Gras Savoye lorgnent enfin sur le secteur des assurances encore largement public. La France est devenue le 4ème investisseur étranger du pays et son 5ème fournisseur. En dehors de l’aéronautique (Airbus) qui reste la part principale, les exportations se diversifient et ne cessent d’augmenter. Enfin sur la construction de la 3ème ligne du métro du Caire, Bouygues, Vinci, Alcatel, Alsthom et Thalès se partagent le gâteau grâce à l’intervention, l’année dernière, d’un VRP de poids : Jacques Chirac, grand ami de Moubarak. Quand on aime, on ne compte pas...
Victor Sègre