Avec les perquisitions dans les ministères des Affaires étrangères et de la Justice, l’instruction se rapproche du pouvoir, mais se fait interdire l’entrée de la cellule Afrique de l’Elysée. Que cherchaient les deux juges à la veille de l’élection présidentielle ?
Tout changement de locataire d’un palais national entraîne la destruction de documents et d’archives « secrètes ». Le départ de Jacques Chirac ne devrait pas faire entorse aux mauvaises habitudes politiques. Il y avait donc urgence à récupérer des documents avant leur destruction. On croit savoir que les juges cherchaient des preuves de la pression (chantage ?) qui aurait été exercée par Djibouti sur la France pour obtenir la copie du dossier d’instruction, afin de pouvoir prendre la justice française de vitesse en organisant un procès éclair à Djibouti.
Dix jours plus tard, on apprenait qu’un nouveau témoin était incarcéré (fort opportunément ?) à Djibouti dans l’indifférence de la diplomatie française. Ce ressortissant français, ancien gendarme, affirme détenir des informations sur l’assassinat du juge Borrel. En février déjà, les observateurs avaient été alertés sur le cas de Christian Georges qui avait réussi à s’enfuir de Djibouti. Il avait déjà été arrêté pour « espionnage » puis relâché, placé sous contrôle judiciaire avec confiscation de son passeport. Interpellé par la suite pour attentat à la pudeur puis remis en liberté sous contrôle judiciaire avec demande de versement d’une caution, Christian Georges a alors pris la fuite début janvier au Yémen où il a été interpellé pour entrée irrégulière sur le territoire.
Bien qu’il soit difficile de confirmer ou d’infirmer les charges qui pèsent sur lui, plusieurs points sont étonnants : Avant sa première incarcération à Djibouti, Christian Georges avait envoyé à sa famille des SMS codés pour qu’elle conserve des informations sur l’assassinat du juge Borrel. Des informations obtenues auprès de plusieurs personnalités djiboutiennes.
Lorsqu’il était au Yémen, déjà gravement malade, les autorités diplomatiques françaises ne lui auraient pas porté assistance. Il semblerait même que c’est le réseau diplomatique français qui aurait, via l’Ambassadeur de France en poste à Djibouti, informé Omar Guelleh, le président djiboutien de la présence de Christian Georges au Yémen. Djibouti a lancé immédiatement un mandat d’arrêt international pour le récupérer.
Les Yéménites sont entrés en contact avec la France pour demander la position à son sujet. Elles ont fait traîner au maximum l’extradition attendant un geste de la France en sa faveur. Finalement après plusieurs semaines de silence français sur ce point, elles auraient été finalement contraintes de livrer Christian Georges aux djiboutiens qui l’ont placé au secret dans la sinistre cellule 12 de la Prison de Gabode, alors qu’il aurait besoin de soins urgents, pour dit-on, une tumeur au cerveau.
Il ne serait donc pas surprenant, si son état de santé était confirmé, qu’il ne perde la vie, faute de soins, dans l’univers carcéral de Djibouti.
Des raisons inavouables ?
Quand on ferme les portes de sa maison à la Justice, c’est que l’on a quelque chose à lui cacher. En interdisant l’accès de la cellule Afrique de l’Elysée, retranché derrière une interprétation extensive et hautement contestable de l’Article 67, Jacques Chirac avait-il quelque chose à cacher sur l’assassinat du juge Borrel et les relations franco-djiboutiennes ? Le régime d’Omar Guelleh aurait-il menacé de rendre public certaines informations « dérangeantes » comme, par exemple, le transfert d’uranium vers des pays sous embargo, les véritables coupables de l’attentat du café de Paris ?
Quelles sont donc les informations sensibles que le gouvernement français n’aimerait pas voir rendre public au point de négliger l’assistance à un compatriote en difficulté à l’étranger ? Rappelons que c’est une des missions prioritaires des autorités diplomatiques. Quant aux charges pénales contre Christian Georges, on peut douter de leur sérieux tant la justice djiboutienne a l’habitude d’inventer des charges « bidons ». Jean-Paul Noël Abdi, le président de la ligue des droits de l’homme de Djibouti (LDDH) en avait été la victime, il y a un mois (Billet d’Afrique N° 157). La diplomatie française ne peut l’ignorer, à moins que ça ne l’arrange.
Jean-Loup Shaal
Aux origines de l’affaire
Le Juge Bernard Borrel, fonctionnaire en mission de coopération auprès du Ministre djiboutien de la Justice, a été trouvé mort à Djibouti, en Octobre 1995 en contrebas d’un éboulis. Dès les premières heures de la découverte, les autorités françaises et djiboutiennes ont déclaré qu’il s’agissait d’un suicide « en accord avec Paris ? ». C’est toujours la thèse officielle d’Etat.
Plusieurs juges d’instruction se sont succédé sur le dossier. Aujourd’hui, c’est Sophie Clément qui en a la charge et elle instruit, avec impartialité, le dossier pour assassinat. Cette différence de point de vue avec celle des plus hautes autorités politiques françaises et djiboutiennes explique certainement le nombre impressionnant d’obstacles qu’on lui oppose à chaque fois que son instruction fait un progrès. Néanmoins, elle a réussi à délivrer des mandats d’arrêt contre deux des auteurs possibles de l’assassinat : Awalleh Guelleh (introuvable ?) et Hamouda Hassan Adouani (Tunisien, condamné à Djibouti pour l’Attentat du Café de Paris et libéré par une Grâce présidentielle. Il est retourné depuis dans son pays)