Survie

Somalie. La bataille de Mogadiscio

(mis en ligne le 1er juin 2007) - Jean-Loup Schaal

Un désastre humanitaire considérable et des rumeurs de génocide dans le Sud du pays, couvertes par un profond silence.

Après la prise quasi-totale de la Somalie par les forces des tribunaux islamiques cet été, l’Armée éthiopienne, soutenue en sous-main par les Américains, avait pénétré en décembre 2006 sur le territoire somalien. Elle avait ensuite investi Mogadiscio pour permettre la réinstallation du Président du Gouvernement Fédéral de Transition (GFT).

Faisant face à de nombreux attentats meurtriers à Mogadiscio et à des attaques contre l’aéroport (deux avions de transport des troupes ougandaises abattus), les forces éthiopiennes ont repris les choses en main. Le 21 mars, elles ont lancé une grande offensive dans les rues de la capitale. Très vite, après avoir perdu un hélicoptère touché par une roquette, elles ont privilégié les moyens terrestres. Les combats se sont achevés le 27 avril 2007, les forces armées éthiopiennes ayant réussi à faire taire les derniers îlots de résistance. Mais ont-elles gagné la guerre ?

Probablement pas encore. Il semble que de nombreux islamistes aient réussi à s’enfuir ou à se cacher et qu’ils soient en mesure de reconstituer leurs forces pour lancer des opérations de guérilla et des attaques suicides. On signale d’ailleurs depuis plusieurs jours des attentats à Mogadiscio. Notamment ces deux bombes qui ont explosé au passage de John Holmes, responsable des actions humaines de l’ONU, en visite officielle le 12 mai. Il aurait repris aussitôt, l’avion de retour vers des zones plus calmes, tout en se déclarant choqué des constatations qu’il avait effectuées sur place …

Un désastre humanitaire de grande ampleur

Outre les milliers de civils qui ont perdu la vie ou qui ont été blessés gravement et que les hôpitaux surchargés (parfois visés par les troupes éthiopiennes) ne peuvent plus accueillir, la bataille de Mogadiscio a provoqué la fuite d’environ 400.000 personnes.

Lâchés sur les routes, sans abri, ni subsistances, ces habitants se sont éparpillés dans le pays, en proie aux pillards, aux maladies (une épidémie de choléra en particulier se développe dans le pays). Plusieurs organisations internationales ont été freinées dans leur action par la guerre mais aussi par le refus tatillon des douanes aux ordres du GFT.

Selon des informations crédibles, ce serait une véritable chasse à l’homme, non couverte par les médias, qui se déroulerait dans le Sud. L’ONU et le HCR n’en font pas état et pourtant elles ne peuvent ignorer les faits gravissimes qui s’y déroulent. Le représentant de la Ligue des Droits Humains à Djibouti (LDDH), pourtant mesuré, parle d’un nouvel Darfour dans un communiqué. Mais chut, c’est secret international !!!

En parallèle de nombreux somaliens ont tenté de gagner les côtes du Yémen, via des passeurs « pirates » qui n’hésitent pas à jeter par-dessus bord dans une mer infestée de requins, les passagers qui ont acquitté le prix exorbitant du transfert maritime. Ceux qui réussissent à rejoindre la côte yéménite ne sont pas au bout de leur peine. Avant de gagner des campements de fortune où ils sont parqués (avec un « petit » minimum d’assistance délivrés par les organisations internationales, dont les moyens financiers ont été récemment réduits), ils doivent affronter l’avidité et les fantasmes des policiers et des militaires qui patrouillent. Certains hommes doivent tout donner, y compris leurs vêtements et les femmes sont fréquemment violées…

Malgré le désastre, le Gouvernement Fédéral de Transition parle d’une ville de Mogadiscio renaissante. Pourtant seules 4.000 personnes sur 400.000 déplacées seraient retournées en ville, où les bulldozers éthiopiens rasent toutes les échoppes et les maisons des quartiers populaires. Les correspondants de presse parlent plutôt d’une ville « en pleine destruction » : un film d’horreur, dénonce un civil, interrogé par la BBC.

La force multinationale de la Paix tarde à se mettre en place.

Sur les 8.000 hommes promis par plusieurs pays africains, seuls 1.600 ougandais sont arrivés sur place pour être les spectateurs de l’offensive éthiopienne. Que peuvent-ils faire ? Observer et éviter d’être pris pour cible. Ce qui pourtant est arrivé : l’Ouganda a perdu plusieurs hommes depuis les débuts de son intervention au titre de l’AMISOM.

Une situation qui n’incite pas les autres pays contributeurs à envoyer des troupes. D’autant que les risques d’attentats sont très élevés : les tribunaux islamiques ayant lancé un appel à la guerre sainte contre l’Ethiopie. Dans ce contexte, on comprend qu’ils ne souhaitent pas s’engager dans le bourbier somalien.

Dans ces conditions, comment assurer le remplacement des forces éthiopiennes ? La réponse de l’Union Africaine est claire : il est préférable qu’elles restent sur place. C’est un moindre mal ! Faute de mieux.

Pendant ce temps, le Premier Ministre éthiopien, Méles Zenawi, multiplie les déclarations pour assurer sa promotion : « La guerre coûte fort cher, mais nous assumons cette charge sur notre propre budget ». Puis perdant son sang-froid, il présente des chiffres « à la baisse », minimisant de façon exagérée le nombre de victimes et de personnes déplacées

Les responsabilités de cette catastrophe ?

La présence américaine dans la région et sa volonté d’implication sont en partie à l’origine de ce nouveau conflit. Une tragédie humanitaire dont on ne mesure pas encore toute l’ampleur, des zones entières étant encore inaccessibles. C’est le cas dans le Sud du pays à la frontière avec le Kenya qui a adopté une ligne pro-américaine sans concession.

L’aggravation de la situation somalienne (le pays vivait alors dans un relatif équilibre sous la loi des chefs de guerre, ce qui n’était déjà pas l’idéal !) remonte à l’intervention américaine en février 2006, lorsque ces derniers ont financé les chefs de guerre pour qu’ils traquent les islamistes. Rapidement vaincus par les tribunaux militaires, les chefs de guerre et leurs milices ont du leur céder le pouvoir dans tout le pays (à l’exception de la minuscule enclave de Baïdoa où le Président du GFT, son gouvernement et l’Assemblée nationale s’étaient repliés).

Pour tenter de régler le problème, les Américains ont alors poussé l’Ethiopie à s’engager puis à réaliser le nettoyage de Mogadiscio.

Au bout du compte, c’est le chaos le plus total qui menace la Somalie. Qu’en serait-il si les Ethiopiens se retiraient ? Tous les coups seraient alors permis : sans autorité, plus de loi. Les chefs de guerre reprendraient probablement le contrôle de la ville de Mogadiscio qui regorge d’armes.

On peut craindre, dans les prochaines semaines, une multiplication des attentats à Mogadiscio. Pour l’heure, le GFT n’a pas la crédibilité ni l’autorité nécessaires pour imposer la sécurité et la paix. Le risque est de revenir à la case départ, avec un rétablissement du système de l’autorité des chefs de guerre. C’est la population civile qui aura, au final, payé un tribut exorbitant. La Somalie s’en relèvera difficilement.

Jean Loup Schaal
président et fondateur de l’association pour le respect des Droits de l’Homme à Djibouti (ARDHD).

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 159 - Juin 2007
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