A l’heure de la redéfinition du mandat et du dispositif Licorne en Côte d’Ivoire, le bilan de la présence militaire française en Côte d’Ivoire devra être fait. Avec des parts d’ombres peu glorieuses. En voici quatre exemples.
En janvier dernier, la presse française diffusait largement le contenu d’un entretien accordé par le mercenaire français Jean-Jacques Fuentès à propos du bombardement de novembre 2004 du cantonnement français de Bouaké. Il dédouanait le président ivoirien de la mort des soldats français en suggérant que des officiers ivoiriens avaient été intoxiqués par une source militaire française sur la présence de chefs rebelles en réunion à proximité du camp de Licorne. En janvier dernier, nous apprenions qu’Interpol avait refusé de diffuser les mandats d’arrêts contre les deux copilotes ivoiriens qui avaient opéré le bombardement. Mais surprise ! En février, suite à une demande de Malte, Interpol Paris émettait un mandat d’arrêt contre Fuentès.
En juin 2003, The Observer révélait qu’une société britannique, « montée spécifiquement pour acheter deux avions de combat et dirigée par deux directeurs français, dont l’un est Jean-Jacques Fuentes », les avait vendus au gouvernement ivoirien sans les autorisations requises. Fuentès réussit à acheminer ces avions à Malte. Après que le premier avion parvint en Côte d’Ivoire, Malte fut informé de l’enquête britannique et interdit l’exportation du second. Mais Fuentès le fit partir en pièce détachées. D’où quatre ans plus tard le mandat d’arrêt d’Interpol, puis fin mai, l’arrestation de Fuentès à Marignane avant l’extradition vers Malte début juin - le procès est en cours.
La loi française du 14 avril 2003 réprimant le mercenariat est visiblement inopérante contre cet « ancien pilote des forces spéciales françaises » - dixit The Observer - resté sous contrat avec le gouvernement ivoirien pendant au moins deux ans.
En décembre 2006, Libération rapportait les propos d’un ancien caporal chasseur alpin accusé (et qui sera condamné) au procès des mosquées brulées d’Annecy. « A plusieurs reprises, il a participé à la force d’interposition entre rebelles et partisans du président Laurent Gbagbo en Côte-d’Ivoire. Il évoque l’affaire Firmin Mahé, ce jeune Ivoirien tué par des soldats français, et dit : « des affaires Firmin Mahé, mettant en cause des officiers supérieurs, j’en ai vu plusieurs pendant que j’étais en Côte-d’Ivoire. »
Il raconte que lorsqu’ils attrapaient un rebelle, ils « le ligotaient et le sergent lui mettait un coup dans la gueule, puis c’était chacun son tour, et on le faisait sinon on était traités de pédés ». David Métaxas, avocat de la Licra, lui demande alors combien de fois c’est arrivé. Il soupire, ne sait pas, suggère qu’il a vu pire mais ne peut pas le dire. Puis rapporte cette anecdote : pour l’un de ses anniversaires, un lieutenant lui aurait dit : « joyeux anniversaire caporal. Comme cadeau, je t’offre trente Noirs pour construire un bunker. » La cour ne comprend pas, lui demande d’être plus clair. Il explique alors qu’il s’agissait d’un jeu fréquent. Des « esclaves » à qui l’on faisait construire des « postes de combat avancés » dont l’armée n’avait pas besoin. »
Depuis juin 2003, les forces impartiales fortement épaulées par la force Licorne surveillaient la "zone de confiance", zone-tampon entre l’armée ivoirienne et les Forces Nouvelles. L’accord de Ouagadougou du 4 février 2007, issu du "dialogue direct" entre le camp présidentiel et la rébellion a prévu son remplacement par une simple "ligne verte".
En avril 2007, donc après que la suppression de la zone de confiance fut annoncée, Médecins sans Frontières-Belgique publia un rapport concis et accablant sur l’insécurité qui y régnait de 2003 à 2006. Parmi les témoignages recueillis, un membre du personnel médical de Man déclarait en août 2005 : « les victimes de violences, qui se font soigner ici, viennent pour la plupart de l’intérieur de la "Zone de confiance". Le danger y est omniprésent. Les habitants y sont abandonnés à leur sort. Ils ne peuvent compter sur personne pour assurer leur sécurité. Lorsqu’un vol est commis d’un côté ou de l’autre de la "Zone de confiance", on appelle la police et c’est fini. Mais qui garantit la sécurité dans cette zone ? Tout le monde peut y faire ce qu’il veut sans risque d’être inquiété car les crimes restent impunis. »
Le 28 janvier 2006, une dépêche de l’agence Misna tirait déjà la sonnette d’alarme sur la situation de Bouaké. Un "volontaire oeuvrant dans le secteur social" s’étonnait de l’importance du dispositif français dans le bastion des Forces Nouvelles de Guillaume Soro : « [...] il est impressionnant de voir autant de véhicules militaires circuler en ville, surtout des véhicules français, par colonnes de 20 ou 30 ». Il poursuivait en témoignant des graves problèmes sociaux : « la dernière génération est complètement en déroute, [...] il y a un grand besoin de rééducation et de réadaptation des jeunes, dont un grand nombre sont des enfants soldats. Des jeunes filles se prostituent. L’arrivée des armes apporte toujours une augmentation de la drogue, d’argent et de prostitution. J’ai vu des filles de 12 ans vivre avec leurs propres enfants dans des conditions d’insalubrité terribles, sans eau ni électricité. Les maisons abandonnées deviennent les lieux de prostitution. [...] Les filles se vendent pour 1 ou 2 euros. Ce phénomène ne pourra diminuer qu’après le retrait des soldats. Avec mon équipe, nous avons documenté et photographié tout cela et nous avons porté les comptes-rendus aux autorités militaires locales, françaises et onusiennes. Elles nous ont conseillé de ne pas trop nous agiter et de rester à notre place. »
David Mauger
Des roquettes contre la paix !
A l’heure où nous bouclons ce numéro, l’attaque à la roquette de l’avion du Premier Ministre Guillaume Soro dans son fief de Bouaké a suscité un profond émoi dans le pays et dans le monde. L’attaque a fait 4 morts dont le chef de Sécurité et une dizaine de blessés. Des amis de Survie, joints le 29 juin au téléphone, font état d’une situation maîtrisée et calme à Bouaké. Les activités prévues à l’agenda des officiels ivoiriens venus d’Abidjan pour relancer le processus d’identification des populations se seraient déroulées normalement. Les Forces Nouvelles, l’ONUCI, le RDR et le gouvernement Ivoirien ont tous condamné avec force cet attentat. L’enquête qui vient de s’ouvrir devrait permettre une rapide identification des auteurs de cette embuscade, tentative de coup d’arrêt au processus de paix, initié début mars par la signature de l’accord de Ouagadougou.
Un accord toutefois fragile, réprouvé en silence par quelques partisans du président Gbagbo mais aussi par certains chefs de l’ex-rébellion. Ils craignent d’être les "oubliés" de la réunification et ne sont pas loin de considérer Guillaume Soro comme un traître. L’avenir de la paix dépend désormais de la célérité et de la sérénité avec lesquelles le tandem Gbagbo-Soro va gérer ce durcissement inattendu du processus de sortie de crise.
Un point positif dans ce tableau assombri est à signaler : les ivoiriens adhèrent massivement aux réformes politiques et administratives en cours.
Sissulu Mandjou Sory