Dans un ordre immuable, les élections dans le pré-carré français continuent d’être des farces électorales. Derniers exemples en date : le Cameroun et le Congo Brazzaville.
Le 22 juillet, lors des élections législatives et municipales, le parti du président Paul Biya, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), a remporté les deux scrutins. Il obtient au moins 152 des 180 sièges de député. Aux municipales, le parti présidentiel contrôle 303 des 363 communes. Notamment dans l’arrondissement de Yaoundé où le RDPC a gagné toutes les mairies.
Le seul énoncé de ces résultats donne la mesure de l’ampleur de la fraude à la mesure de l’impopularité de fait du régime. A peine cinq millions de Camerounais sont inscrits sur les listes électorales, sur une population estimée à plus de seize millions. On ne connaît d’ailleurs toujours pas le chiffre de la population, depuis que le processus de recensement s’est perdu dans les sables des divers sabotages. Et sur ces cinq millions d’inscrits, à peine la moitié est allée voter. L’abstention est la seule façon pour les Camerounais d’exprimer leur lassitude et leur dégoût. Dans le fief présidentiel le nombre des votants était par contre supérieur au nombre des électeurs inscrits.
La fraude a été si impudente que les ambassades des États-Unis, des Pays Bas et le Haut Commissariat du Royaume Uni, qui ont envoyé des équipes d’observateurs sur le terrain lors des élections législatives, n’ont pas hésité à publier un communiqué très inhabituel qui contient quelques phrases particulièrement sévères : « […] dans l’ensemble, ces élections représentent une occasion manquée pour le Cameroun – une occasion manquée pour continuer de construire la confiance publique dans le processus électoral. […] Le déroulement du scrutin, notamment au niveau local, était entaché d’irrégularités. […] La mise sur pied, le plus tôt possible, d’une commission électorale indépendante constitue une étape essentielle dans ce processus, étant donné que seule une institution véritablement indépendante permettra aux citoyens d’avoir une confiance totale dans le processus démocratique. »
Le gouvernement n’a pas caché sa colère et, par la voix du ministre des relations extérieures Jean-Marie Atangana Mebara, a jugé que ce communiqué constituait une provocation créant les conditions d’un “incident diplomatique”. L’ambassadeur de France, au mieux avec les personnalités les plus contestables du régime – il est reçu en villégiature dans la propriété de Gervais Mendo Zé, extravagant et ruineux directeur de la CRTV pendant 16 ans – s’est bien gardé, lui, de faire la moindre observation sur un processus électoral qualifié de « rituel folklorique », selon la représentation camerounaise de l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch (HRW). La Coalition nationale de la société civile pour les élections au Cameroun a déclaré que « les élections municipales et législatives du 22 juillet 2007 ont été une mise en scène anti-démocratique soigneusement orchestrée ».
Après 30 années sous la coupe du parti unique, les 17 années que le Cameroun a passée sous le régime de la fraude électorale ont certainement été les pires à tout point de vue : elles ont vu exploser la corruption et le pillage des ressources du pays, régresser le développement humain, plonger la majorité des Camerounais dans la misère et le désespoir, dans une absence totale de perspectives d’avenir pour des générations de jeunes. Certains semblent s’en inquiéter à juste titre, mais un peu tard, d’autres continuent à soutenir l’insoutenable, sans craindre de nier toute responsabilité dans une situation désastreuse.
Le 24 juin, le premier tour des élections législatives s’est déroulé dans un tel chaos, que les autorités ont été amenées à convoquer des élections partielles dans 19 circonscriptions, les 8 et 15 juillet, et à repousser au 4 août le second tour, initialement prévu le 22 juillet. Mais ce deuxième tour n’a guère été plus crédible, du fait des nombreux dysfonctionnements signalés.
Ce scrutin a été remporté de façon écrasante par le tout puissant parti congolais du Travail (PCT). Les opposants, dont une partie a boycotté le vote, ont dénoncé ces désordres et certains ont demandé son annulation.
Cinquante-trois sièges, sur les 137 que compte l’Assemblée nationale, ont été pourvus lors du premier tour. Le PCT du président Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis 1997, a raflé la mise en emportant, avec ses alliés, 50 sièges, contre trois seulement à l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS), principale formation d’opposition.
Au final,- le PCT et ses alliés ont obtenu la majorité absolue en raflant 124 des 137 sièges de l’Assemblée. L’opposition sera représentée par deux partis, l’UPADS, qui a obtenu 10 sièges, et l’Union pour la démocratie et la République (UDR-Mwinda), de feu André Milongo, qui n’a glané qu’un seul siège contre huit dans l’Assemblée sortante.
La fraude s’est faite d’abord en amont du processus électoral : pas de recensement de la population, pas de listes électorales honnêtes, pas de carte électorale pour ceux qu’on soupçonne d’être hostiles au pouvoir, votes multiples pour les partisans du régime, le tour est pratiquement joué. Il ne reste plus qu’à annoncer enfin des résultats fabriqués sur mesure. De telles élections ne servent qu’à désespérer davantage la population, dont le sort n’est pas près de s’améliorer et qui risque au contraire d’empirer.
Odile Tobner