Tout au long du mois d’août on a vu tomber l’avalanche des protestations suscitées par le discours de Nicolas Sarkozy le 26 juillet à Dakar. En Afrique et en France une légitime indignation a souligné tout ce qu’il y avait d’odieux dans les jugements portés avec présomption sur les Africains. L’affirmation agressive du refus de la repentance, la réaffirmation, au Gabon, de l’absence de responsabilité de la colonisation, l’impasse faite sur le néocolonialisme étaient également choquantes. Nicolas Sarkozy veut construire l’Eurafrique. On le comprend. Mais a-t-il demandé leur avis aux Africains interdits de séjour en France ? L’Afrique ne demande pas de repentance, elle ne l’a jamais demandé. Cessons de fantasmer là-dessus. L’Afrique attend de la France de simples décisions de bon sens et la reconnaissance de la réalité d’hier et d’aujourd’hui. Pour un champion du réalisme en politique c’était un discours parfaitement inutile et absurde, destiné seulement à masquer le cynisme et le mépris qui animent une politique sans envergure.
Au lieu d’étaler son inculture, Nicolas Sarkozy aurait mieux fait de parler des événements politiques qui se déroulaient en Afrique en juillet. Pas la moindre attention de sa part tout comme la presse française ne leur a consacré une seule ligne, sans même parler d’une analyse politique pourtant nécessaire. Au Congo Brazzaville et au Cameroun se sont déroulées des élections plus truquées que jamais. Elles ont reconduit au pouvoir des clans discrédités, manifestement honnis par des populations croupissant dans la misère. Au Togo et au Tchad on s’efforce d’éviter à tout prix qu’advienne un processus électoral un tant soit peu honnête. Personne n’a songé à mettre ces faits sous les feux de l’actualité. Tout cela était tellement banal, normal en Afrique, la routine. Ce n’est même pas la peine d’en parler.
Pourtant ceux qui dissertent à perte de vue de politique africaine devraient s’abîmer en considérations pertinentes sur ces pratiques de fraude, leurs causes, leurs modalités, leurs moyens. Pourquoi une telle indifférence devant un phénomène capital ? On bute immanquablement sur un passe-partout : c’est en Afrique, c’est comme ça. C’est-à-dire un refus d’analyse objective. Ce n’est pas au paysan africain à qui « il ne vient jamais à l’idée de sortir de la répétition », c’est aux chers Présidents. C’était cela qu’il fallait dire. Qu’est-ce qui « recommence toujours », sinon les élections truquées reconduisant au pouvoir pendant des décennies les Compaoré, Biya, Bongo ? Là on n’était plus dans le mythe mais dans une lourde réalité, sur laquelle on aimerait bien entendre un point de vue autorisé.
Le paysan africain qui, dans un grand élan vers l’avenir, piqué au vif par les propos de Sarkozy, voudrait se débarrasser de ce qui l’opprime et lui interdit toute initiative, se trouverait immanquablement devant des balles françaises. Il le sait, cela lui est arrivé déjà bien des fois. Dès que l’Afrique s’invente un destin, comme elle le fit magnifiquement avec Thomas Sankara, on lui fait comprendre que ce n’est pas de ce destin-là qu’il s’agit. C’est ainsi que Sankara périt assassiné le 15 octobre 1987, pour avoir eu foi dans « l’aventure humaine et l’idée de progrès ».
Les Africains savent parfaitement qu’ils doivent livrer la longue et dure bataille pour leurs droits civiques, et que Nicolas Sarkozy ne les y aidera certainement pas. Cela ferait vraiment trop de changements aventureux pour la France, qui aime la répétition tranquille des bonnes affaires.
Odile Tobner