Enquête à Birao, théâtre de violents affrontements au printemps dernier.
Au premier coup d’œil, les rues de Birao semblent presque paisibles cet été. Loin de l’hystérie du monde moderne, la cité dégage même une quiétude campagnarde tout à fait trompeuse. Pourtant, la ville est en ruine et les habitants tentent de remettre un toit à leurs maisons brûlées avant la saison des pluies qui débute. Alors, le long des pistes de latérite quadrillées par les militaires centrafricains et français, on s’active. Ici, nulle trace de cette frénésie propre aux capitales africaines : les gens parlent doucement, marchent calmement, se saluent dans une ambiance sonore épargnée par le grondement des moteurs. Mais cette quiétude rurale reste étrange. Cette tranquillité serait-elle une convalescence ?
De fait, malgré l’activité ostensible du petit marché, la ville ne retrouvera pas son visage « d’avant » puisque des quartiers entiers restent fantômes, ceux dont les familles ont pris la fuite en brousse. Car, pour une fois, cette année, il s’est passé quelque chose dans cette à Birao.
Début mars, ce bourg de 14 000 habitants, capitale de la Vakaga, est soudain sorti de l’oubli pour s’afficher dans les quelques pages « initiées » de l’actualité africaine. Une attention plus que relative, il est vrai. La France vivait alors en pleine campagne électorale. Et ils ne furent pas nombreux, médias ou candidats, à s’interroger sur le rôle exact de nos soldats les 2, 3 et 4 mars dans cette région du bout du monde, l’une des pointes du « triangle des trois frontières » (Soudan, Tchad, Centrafrique), limitrophe du sud-Darfour, zone hautement stratégique.
En novembre 2006, Birao, fut attaqué par une nouvelle rébellion : l’Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement (UFDR). Ce mouvement hétéroclite – melting-pot d’« ex-libérateurs » en désespérance de paie, de jeunes de la région d’Ouandja authentiquement en lutte contre l’ostracisme de Bangui, d’anciens gardes-chasses des réserves voisines, ou des maigres forces du Front Démocratique du Peuple Centrafricain (FDPC) – occupe la ville un mois durant. Une contre-offensive des Forces Armées Centrafricaines (FACA), largement épaulée par les soldats Français de l’opération Boali, ainsi que les Mirages F1 venus de N’djaména chassèrent les rebelles au début décembre. Puis, en février, le président Bozizé signa un accord à Syrte (Libye), avec celui qui revendiquait alors la direction de l’UFDR : Abdoulaye Miskine.
Un traité vite désavoué par ses propres troupes, puisque le 2 mars, un autre leader de l’UFDR, Damane Zakaria, ancien exportateur d’hévéa originaire de la région, annonce attaquer Birao et « s’en prendre aux Français » dont l’interposition lui paraissait « une ingérence dans les affaires nationales ». Les 18 soldats français pré-positionnés depuis quatre mois, doivent donc affronter une attaque à la mitrailleuse lourde. La riposte est aussitôt organisée depuis Paris : des Mirages F1 neutralisent les mitrailleuses juchées sur des picks-ups, un saut opérationnel des parachutistes du GCP/3eme RPIMa reprennent l’aéroport assurant ainsi l’appui des FACA dans leur reconquête. Cette fois, l’UFDR s’est avancée jusqu’à Bria et c’est Bangui que vise Zakaria. Il est évident que sans l’aide de Paris, le pouvoir de François Bozizé aurait vacillé. Quoi qu’il en soit, à l’issue de deux jours de combats, alors que la totalité des habitants de Birao ont fui dans la brousse, 70% des maisons sont brûlées et pillées. Chacun se rejette la faute, mais en tout état de cause, les FACA, certaines de l’issue de la bataille, (légionnaires et parachutistes français sont derrière eux) se sont défoulées sur la ville. Petites haines ethniques, détestation des musulmans…Il pourrait aussi ne s’agir que du pillage et de la violence coutumière de soldats convaincus de leur impunité. Exactions gratuites, car il faut décrire Birao pour comprendre : il n’y a rien. Pas d’eau (seulement 20 puits pour 14 000 habitants), pas d’électricité, pas de routes, pas d’administration, un hôpital sans médecin, et seulement deux écoles, avec 4 instituteurs. Ainsi, au cours de la bataille, ce sont aussi les réserves de mil qui sont parties en fumée. Dans ces conditions, les habitants, se disent simplement tous satisfaits de la présence des 200 légionnaires du 2e REI et parachutistes du 3e RPIMa. Bien sûr, leur présence a ramené la « sécurité ». Cet été à Birao, les habitants croisent ça et là des patrouilles françaises fort attentionnées, tout sourires, manifestement soucieuses de leur image. Il faut dire que la région est calme désormais, un silence des armes conforté par un nouvel accord signé en mars entre François Bozizé et Damane Zakaria et la nomination de celui-ci comme conseiller à la présidence. Bien sûr, la diplomatie française a appelé de tous ses vœux cette temporisation, car ni l’endroit ni l’époque ne sont propices à l’extension de l’implication tricolore.
Pourtant, il est un fait notoire, c’est qu’à Birao, il n’y eut ni massacre, ni bataille furieuse, ni de ces exactions capables d’attirer et d’émouvoir les opinions publiques mondiales. De plus, une étude attentive des récits, des lieux et des intérêts de chacun vient confirmer que l’armée française a bien pris garde de ne pas trop s’impliquer, dénonçant même au passage « la rupture des liens entre population et FACA ». D’ailleurs, il n’y en avait guère besoin. Le simple appui des Mirages suffit à affirmer la détermination tricolore. Pour le reste, les combats centrafricains sont à l’image du pays : des luttes de pauvres. Il est probable que l’UFDR n’a jamais aligné plus de 500 combattants, et les FACA sont composées de 5000 hommes. Pour un territoire grand comme la France, cela fait peu. Bien sûr, au sein de l’armée, la redoutée « Garde présidentielle », composée elle aussi des « libérateurs » « tchadiens », (ceux qui ont accompagné François Bozizé dans son coup d’état de mars 2003) bénéficie d’un statut à part. Ceux-là se comportent en véritables seigneurs, semblent au-dessus des lois, et malgré leur faible nombre – 800 - sont l’un des principaux acteurs du malheur du pays [1].
Mais c’est bien dans cette médiocrité sur l’échelle des tragédies mondiales que se joue le drame de la RCA. Car le pays va mal, très mal. Tous les indicateurs de développement humain sont au rouge, plaçant la Centrafrique comme l’un des trois pays les plus pauvres du monde. Pour une large majorité d’habitants, la vie se résume donc à une lutte quotidienne pour des besoins élémentaires parmi lesquels boire et manger. Pourtant le pays n’est pas aride et recèle même des richesses minières ou un potentiel touristique autour de sa faune, mais voilà : depuis l’indépendance, plus que tout autre sur le continent, la Centrafricaine est le terrain de jeu exclusif de la France qui s’est ingéniée à y promouvoir et à y soutenir corruption et incompétence gouvernementale.
Dans ces conditions nul besoin de s’acharner à enquêter sur l’exact rôle des troupes françaises à Birao, ni sur la légitimité de leur présence [2], puisque de toute évidence la rébellion est strictement endogène et non pas orchestrée par Khartoum comme tendrait à le faire croire le Quai d’Orsay. En cela, l’opération de mars n’est que le symptôme d’un scandale beaucoup plus vaste que celui de la tutelle exercée par Paris depuis 40 ans et qui fait de la Centrafrique un cas d’école de la Françafrique. Depuis la mort mystérieuse de Barthélemy Boganda, en passant par Jean-Bedel Bokassa, David Dacko, André Kolingba, Ange-Félix Patassé puis François Bozizé, la France a systématiquement contrôlé le pouvoir, plaçant pour parfois ensuite destituer ses ex-protégés (opération Barracuda, chute de A.F.Patassé). Il suffit de se promener à Bangui pour comprendre que ce pays reste un paradis pour coopérants, barbouzes, mafieux ou mercenaires. Et si les 2 bases permanentes de Bouar et Bangui furent fermées en 98 à la suite des « mutineries » au cours desquelles nos soldats firent la loi à Bangui, l’opération Boali [3] repositionna en 2002 une petite garnison opérationnelle formée en grande partie de spécialistes du COS (Commandement des Opérations Spéciales). De plus, la coopération militaire n’a jamais failli. Ainsi, depuis 2003, un officier français est en place au titre de conseiller à l’état-major, une place très proche de la présidence [4].
En effet, même si la RCA apparaît comme épargnée par les pillages organisés dans les pays voisins, sa position centrale reste stratégique et le maintien de l’influence française relève des objectifs traditionnels de la Françafrique : stratégiques (grâce au rayonnement possible dans les pays voisins dont le moindre n’est pas le Soudan), diplomatiques, politiques, et économiques [5]. Et puis il y a l’idéologie, car il n’est pas concevable de voir les pays francophones basculer un par un vers d’autres tutelles. Et s’il y a bien un pays que l’on ne peut pas « perdre », c’est la Centrafrique. Mais les temps changent et en 2007, la présence militaire ne fait pas tout. C’est ce que peuvent méditer à loisir parachutistes et légionnaires en armes, lorsqu’en sillonnant quotidiennement Bangui, ils passent devant les ruines du palais omnisport dans lequel Bokassa fut couronné empereur. Ce bâtiment, cadeau de la France, s’effondre un peu plus chaque jour tandis qu’à 40 mètres s’élève désormais le plus bel édifice de la ville : un stade flambant neuf de 40 000 places, don de la Chine.
Bien sûr, ces mêmes soldats peuvent se consoler devant la médiocrité du pays en foot, et se dire que s’il est un investissement inutile, c’est bien celui-ci. Il reste que depuis 40 ans, la tutelle française n’a pas non plus été productive du moindre développement, au contraire car le pays s’enfonce jour après jour. Une succession d’erreurs ? Non, un échec savamment orchestré pour entretenir la RCA en situation de dépendance totale. En notre nom à tous, nos présidents ont délibérément placé depuis 1960, les 4 millions de centrafricains sous une perfusion de pauvreté, de coups d’états et de dictatures « discrètes », assimilant hypocritement la protection apportée par nos soldats aux régimes en place, à la temporisation d’une crise entretenue de l’autre main.
La souffrance silencieuse de la population impose pourtant de toute urgence une remise à plat de notre relation à la Centrafrique. Et puisque le pays a besoin d’aide, nous avons un devoir impérieux, celui d’aider la RCA à bâtir une vraie démocratie, indépendante, économiquement autonome, arquée autour d’un débat politique soucieux du bien être de tous. Pour cela, il existe encore une classe intellectuelle de valeur, des journalistes courageux et intègres, ce sont eux qu’il convient de promouvoir et non pas les sempiternels colonels issus d’une armée totalement corrompue. Voici le seul schéma dans lequel Nicolas Sarkozy devra s’inscrire sous peine de trahir ses engagements du Bénin. Peut-on rêver ?
De notre envoyé spécial
Vincent Munié
Ubu roi
Parler d’incompétence des dirigeants promus par la France relève parfois de l’euphémisme, ainsi en témoigne cette anecdote. Elle illustre certaines contradictions à propos desquelles on pourrait chercher longtemps la moindre logique. Le 14 juillet, l’ambassadeur de France reçoit dans sa résidence à Bangui une bonne part de la communauté Française. La présence de François Bozizé est annoncée. À l’intérieur du parc, coopérants, diplomates, hommes d’affaires et humanitaires l’attendent dans une profusion de petits-fours, mais c’est à l’entrée que se joue l’événement. En effet, lorsque le cortège hurlant du président se positionne devant la porte, une quinzaine de gardes présidentiels centrafricains en arme, veulent le suivre à l’intérieur de la résidence de l’ambassade. Nous sommes en terrain diplomatique et il n’est pas d’usage qu’une troupe étrangère en arme pénètre dans un territoire souverain, la sécurité de l’hôte étant alors confiée à l’armée locale. Le gendarme français s’interpose donc. Mais les gardes présidentiels ne se démontent pas, le frappent et forcent le passage. Mini émeute. Les paras français s’interposent, les diplomates interviennent, et un agrément est trouvé : François Bozizé sera accompagné d’un seul soldat. Les jours suivants, le quai d’Orsay se plaindra officiellement de l’incident et rappellera (momentanément ?) ses coopérants militaires.
Cet incident révèle bien l’état de déliquescence de l’armée, comme du pays tout entier. En effet, s’il y a bien un pays que François Bozizé se doit de ménager, c’est bien la France. Aux yeux de tous, le simple départ de 500 soldats de Boali scellerait sa perte…À moins que le rapport de force ne soit pas aussi déséquilibré que l’on croit, car in fine, la France aussi a besoin de la RCA…
Saturday Night Fever
Au cœur de Bangui, les soldats français de Boali font recette. Précisément au « Songo night » une discothèque modeste où plusieurs fois par semaine, se rendent des paras français du camp Mboko. En tenue de combat, écusson Boali sur le bras gauche, drapeau tricolore sur le droit, en présence d’un sous-officier, quelques soldats se livrent à une sordide exhibition. En effet, des prostituées noires les y attendent, et sans être plus regardant que cela sur l’âge de leurs partenaires, les français s’ébattent et font l’amour avec les jeunes filles dans un espace de la discothèque sans se dissimuler le moins du monde. Certes, on objectera que de tout temps les militaires en campagne restent des hommes et que la pratique des « bordels » est universelle. Toutefois ce sont les conditions même de l’exercice qui sont choquantes. En effet il suinte de leur totale absence de complexe une espèce de conception coloniale de leur rapport au sexe. D’abord, il est à craindre que certaines prostituées soient encore mineures et nul ne pourra prouver le contraire, mais ce détail n’occupe guère nos braves soldats. Ensuite, l’institutionnalisation de la pratique : les soldats viennent en tenue, amenés par un camion et sous le contrôle d’un sous-officier, par rotation plusieurs fois par semaine.
Une anecdote, évidemment, mais pourrait-on imaginer des soldats centrafricains en garnison en France venir se taper des putes potentiellement mineures, devant tout le monde, dans une boite du centre de Paris ? Vu de ce côté…
[1] À noter que la garde rapprochée de F. Bozizé fut longtemps commandée par un mercenaire Français, ex-légionnaire, un certain « Demba ». (à ne pas confondre avec J. P. Bemba, présent lui aux côtés de Patassé).
[2] En vertu de l’application de l’accord de défense qui lie la France à la RCA et l’oblige à intervenir en cas d’agression extérieure.
[3] L’opération Boali débuta sous le prétexte classique de protection de la communauté Française, pour s’éterniser et se transformer à l’instar d’ »Epervier » ou de « Noroît » en une présence permanente.
[4] Un poste occupé en son temps par le général Guillou.
[5] Comme en témoignent, via le récent rachat d’Uramin le soudain intérêt d’Areva, ou les coups d’œil non dissimulés de Bolloré vers les forêts du sud-ouest, frontalières du Cameroun et du Congo.