Rien de va plus au Togo. Un calme très précaire semble y régner. Un duel fratricide fait rage entre les deux fils Eyadéma. Pour le plus grand malheur des Togolais qui meurent de faim.
Me Apollinaire Madji Yawovi Agboyibor, vient de présenter sa lettre démission du poste de Premier ministre à Faure Gnassingbé qui l’a refusée. Ligotés par l’Accord Politique Global (APG), les deux compères ne pouvaient pas se séparer sans mettre en péril leur existence. Faure a besoin de Madji-le-Magicien, qui lui confère un vernis de reconnaissance. C’est ainsi qu’il a pu sortir enfin de son profond silence pour dénoncer les préfets et les chefs traditionnels affidés au Clan Gnassingbé. En menaçant de lui ôter sa botte de foin, la réponse du berger au Bélier noir ne s’est pas fait attendre. Le Clan estime que Me Agboyibor et le Professeur Gnininvi, issus des rangs de l’opposition, devraient apporter une caution politique, malheureusement ils ne font pas le travail de promotion espéré. Ils apparaissent plutôt comme des témoins gênants au sein du fameux gouvernement d’union nationale. L’APG qui était à l’époque perçu par le Clan RPT comme une victoire est devenu aujourd’hui un lourd fardeau.
Par ailleurs, selon les points de vue des caciques du RPT, le fait d’accepter Ouaga XII avec l’implication de l’Union européenne dans l’organisation des législatives sincères et transparentes, a pour effet pervers le risque de perdre le pouvoir. Le Clan se trouve ainsi pris dans les rets de ses propres turpitudes. Il commence à regretter l’époque glorieuse où le dictateur Eyadéma pouvait facilement dissoudre la Commission électorale nationale indépendante (CENI) lorsqu’il sentait venir la défaite. La récente sortie de Faure contre son Premier ministre et l’éditorial du 14 juin dernier de Koffi Souza, pseudonyme de Charles Debbasch, ministre-conseiller à la Présidence de la République et cerveau de nombreux coups fourrés, s’inscrivent dans cette stratégie initiée sous Eyadéma que les rejetons veulent reproduire, alors qu’ils n’ont pas la dextérité cynique du père et que le contexte juridique et international a beaucoup changé.
Tout le jeu de Faure consiste à avoir une mainmise totale sur l’organisation des législatives, c’est-à-dire notamment une CENI composée de membres complètement dévoués. Mais c’est une option qui implique la sortie préalable du cadre de l’APG, or ceci comporte des risques incalculables et des conséquences que le Clan n’est pas en mesure d’évaluer. Ces incertitudes font que Faure et les siens, bien que tentés, hésitent encore. D’autant que les militaires ne sont plus disposés à les suivre comme un seul homme. Aussi longtemps qu’ils n’auront pas trouvé une solution leur assurant la victoire, les législatives n’auront pas lieu. Ce qui est embarrassant pour le Clan est que, en même temps que la constitution tripatouillée de décembre 2002 reconduit de fait l’Assemblée nationale monocolore, en même temps Ouaga XII le contraint à tenir ses engagements électoraux. Ces hésitations trouvent essentiellement leurs sources dans les divergences de stratégie de confiscation et de gestion du pouvoir entre Faure et Kpatcha, le demi-frère, tout-puissant ministre de la Défense, surnommé « Vice-président ». Les deux frères s’entendent comme larrons en foire sur la confiscation du pouvoir elle-même, mais sont opposés sur la stratégie et la gestion de cette confiscation.
En effet, Kpatcha estime, à juste titre peut-être, avoir joué un rôle essentiel dans la prise du pouvoir. Ne sont-ce pas ses milices armées et transportées dans des véhicules de la Société togolaise de coton dont il est le président du conseil d’administration, qui ont répandu la terreur et la mort à Lomé et à l’intérieur du pays ? N’est-ce pas son nom qui est cité dans les rapports internationaux relatifs aux crimes contre l’humanité commis lors des élections d’avril 2005 et qui risque de comparaître devant les juridictions internationales comme son ami Charles Taylor ?
Contrairement aux idées répandues, Faure n’a pas la tête à l’emploi de chef d’Etat que la Françafrique, aujourd’hui amèrement déçue, lui avait confié. Sa personnalité trop labile ne lui confère aucune capacité de décision, ne serait-ce garantir l’APG qu’il a signé ou ses engagements qu’il a contractés lors de différentes rencontres. Faure ressemble parfaitement à cet âne qui, placé à mi-chemin entre une botte de foin et un seau d’eau, se laissa mourir de faim et de soif pour n’avoir pas pu choisir. Par contre, Faure est un homme de décision lorsqu’il s’agit de courir le jupon. Il sait utiliser l’emploi pour appâter les femmes allant même cocufier certains chefs-corps de son armée qui en souffrent dans leur dignité.
En fait, au sommet de l’Etat, les deux frères jouent chacun sa partition. Kpatcha estime avoir le charisme et la force de caractère de leur père Eyadéma. Nombreux sont de plus en plus les membres du Clan à penser qu’il est « l’homme de la situation » qui peut incarner la continuité et à même de faire des réformes.
En ce moment Faure est très inquiet et en même temps déterminé à conjurer le sort en neutralisant d’une manière ou d’une autre Kpatcha. Le premier scénario inscrit sur son agenda intime consiste à trucider son frère consanguin. Mais il est conscient que cette option comporte beaucoup de risques pour lui. Le deuxième scénario est d’empêcher par tous les moyens une éventuelle victoire de Kpatcha aux improbables législatives, et ensuite l’éjecter du gouvernement qui sera formé. Pourquoi Faure cherche-t-il à empêcher l’élection de son frangin ? Parce qu’il est persuadé qu’une fois élu député, Kpatcha prendra la présidence de l’Assemblée nationale, provoquera sa mort le plus « naturellement » possible par des pouvoirs occultes dont il a le secret pour s’offrir ainsi la voie royale vers la magistrature suprême
Dans la configuration politique actuelle, ni le retour à la constitution de 1992, ni les législatives, sincères et même transparentes, n’apporteront de solutions probantes. Car la décomposition du Togo est très avancée et touche au mental collectif. Les grandes et petites combines à courte vue et souvent de nature sadomasochistes ne peuvent pas permettre de le mettre sur le chemin de la reconstruction morale et de la démocratie.
Hier le Ghana, le Mali, le Niger ou la Mauritanie étaient dans le gouffre comme actuellement le Togo, ce pays sans eaux ni lumière. Dans ces pays, des militaires ont pris leur responsabilité en engageant et en respectant leur parole d’honneur devant le peuple. Aujourd’hui le parrain de la Françafrique, Jacques Chirac, n’est plus aux commandes. Le contexte est plus que favorable pour mettre le compteur à zéro, c’est-à-dire qu’il est temps que des militaires patriotes prennent leurs responsabilités. On est désolé d’envisager ce cas de figure.
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