Billets d’Afrique a déjà rapporté comment
la ville de Birao au nord-est de
la Centrafrique avait été incendiée et
pillée par les militaires centrafricains dans le
sillage des bombardements aériens des mirages
français (Billets d’Afrique, n°157). Le
rapport de HRW établit que les exactions systématiques
contre les populations civiles du
nord de la Centrafrique remontent au moins à
la mi-2005. Depuis, le bilan est lourd : plus
de 10 000 maisons incendiées, des centaines
de civils abattus, « disparus » ou torturés,
et au moins 200 000 personnes en fuite qui
tentent maintenant de survivre en brousse
ou dans des camps. Le rapport souligne que
« les forces françaises se trouvent souvent désagréablement
proches des exactions commises
par leurs homologues de la RCA » mais
que « généralement, elles semblent continuer
comme si de rien n’était, se refusant à voir ce
qui se passe sous leurs propres yeux ». Il dénonce
également l’impunité totale dont bénéficient
les troupes responsables, à commencer
par la garde présidentielle qui dépend directement
du président François Bozizé, et le « silence
presque absolu » des autorités françaises
sur ces violations des droits humains qui
relèvent de la compétence de la Cour pénale
internationale.
Interrogés par l’AFP (14 septembre) sur le
contenu du rapport, l’état-major français a
daigné réagir. Le capitaine de vaisseau Christophe
Prazück a confirmé que « les militaires
français n’ignorent pas qu’il y a des exactions
en République centrafricaine, mais ils ne détournent
pas les yeux et agissent chaque fois
que c’est possible ». Ainsi « au mois de juillet,
un cycle d’instruction d’une unité de la
garde présidentielle conduit par des soldats
français » aurait « été interrompu, cette unité
faisant l’objet de suspicions sur son comportement
».
Toujours au mois de juillet, « une autre unité
de la garde présidentielle au comportement
inacceptable à Birao où plusieurs personnes
ont été molestées » aurait été « relevée et sanctionnée
». En juillet toujours, d’après Jeune
Afrique (16 septembre), le président Sarkozy
en personne aurait décidé de mettre fin à la
coopération avec la totalité de la garde présidentielle
centrafricaine. L’armée française estime
sans doute être quitte des accusations de
complicité de crimes de guerre à bon compte.
Sauf que...
À supposer que ces mesures tardives soient
réelles, elles ne sauraient clore le dossier.
Reste d’abord à vérifier qu’une coopération
officieuse n’ait pas pris le relais de la coopération
militaire officielle, comme il est d’usage
en ce genre de circonstances. D’autre part, si
les militaires et mercenaires « intouchables »
de la garde présidentielle sont les auteurs
principaux des crimes commis, le rapport de
HRW atteste que d’autres troupes des Faca,
avec lesquelles l’armée française poursuit sa
coopération militaire, ne sont pas en reste.
Qu’en est-il également de la présence des
gendarmes français, pointée par le rapport,
auprès de l’Office central de répression du
banditisme (OCRB) ? Cette structure est
qualifiée par l’ONG comme, « une unité de
police paramilitaire mise sur pied pour gérer le
problème du “banditisme” dans la capitale »
et qui « procède à des exécutions sommaires
de “rebelles” et de “bandits” présumés avec
une régularité inquiétante, souvent en public ».
Rappelons enfin que la coopération militaire
n’est pas uniquement « technique » ou limitée
à des tâches de formation. Le général Bozizé
est flanqué d’un général français qui joue le
rôle de conseiller présidentiel très polyvalent.
Des officiers français fournissent également
« une aide à la planification et à la conduite des
opérations » (Libération, 1er décembre 2006).
Et c’est bien l’armée française qui a encadré
sur le terrain les dernières opérations de reconquête
du nord de la Centrafrique.
Contrairement à ce que laisse entendre l’étatmajor
parisien, les exactions des forces centrafricaines
ne sont pas seulement des actes
isolés. Le rapport de HRW met en évidence
que, depuis 2005, les incendies de villages et
les exactions ininterrompues contre les populations
civiles du nord relèvent bien d’une
stratégie de terreur délibérée visant au « déplacement
forcé de la population civile ». Non
pas des dérapages de quelques soudards, mais
« une tactique de représailles et de contreinsurrection
des forces de sécurité », à caractère
largement ethniste, qui vise à priver les rébellions
du nord des éventuels soutiens qu’elles
pourraient trouver parmi la population civile.
En 2005, Jeune Afrique (17 juillet 2005)
signalait que « des militaires français de
l’opération Épervier, basés à N’Djamena au
Tchad, ont directement aidé les Forces armées
centrafricaines (Faca) à “nettoyer” les zones
de l’ouest du pays, frontalières avec le Cameroun,
où sévissent d’anciens miliciens partisans
du président Bozizé ». Les hélicoptères
français ont continué ensuite à transporter les
troupes centrafricaines dans le nord du pays.
Quelques mois plus tard, une source à l’état-major
affirmait : « Nos hommes n’ont été témoins
d’aucune exaction (Libération, 14 décembre
2006). Le rapport de HRW relate pourtant
« certaines des exactions les plus graves »
commises dans le village de Ouandja, incendié
malgré la présence de militaires français, trois
jours avant cette déclaration militaire.
Après la reprise de Birao en mars, Libération
(7 avril 2007) s’interrogeait : « Que s’est-il
passé ? Qui est responsable de cette vague
de destructions ? (...) l’armée française (...)
accuse les rebelles. » Selon le rapport de
HRW, les rebelles de l’UFDR ont effectivement
visé « les maisons des fonctionnaires
ou celles de personnes perçues comme étant
progouvernementales », mais la majeure partie
des incendies, qui a touché 70 % des habitations
de Birao, est à mettre sur le compte
des représailles des Faca. La question qui se
pose est donc bien de savoir quelle part les
officiers français ont pris dans l’élaboration
et la mise en oeuvre prolongée d’une
stratégie militaire criminelle qui ne paraît
pas étrangère à l’héritage colonial de notre
armée, et que l’on a vue à l’oeuvre ailleurs.
Et si nos officiers n’ont rien à se reprocher,
pourquoi avoir, jusqu’à la publication du
rapport de HRW, nié les exactions commises
par les forces centrafricaines et tenté de les
attribuer aux rebelles ?
Victor Sègre