Le lundi 17 septembre la ville d’Abong-Mbang, à l’est du Cameroun, non loin de la frontière avec la Centrafrique, a été le théâtre de violents incidents qui ont fait plusieurs morts et de nombreux blessés. Une première manifestation avait eu lieu le vendredi précédent. Le mécontentement est dû à l’absence d’eau et d’électricité dans cette ville. Celles-ci sont fournies que très sporadiquement depuis plusieurs mois. AES-Sonel, depuis sa privatisation au profit d’un groupe américain est de plus en plus incapable de répondre aux besoins des Camerounais en électricité. L’acquéreur, à des conditions très avantageuses, de ce réseau vétuste et sinistré par une gestion étatique corrompue, ne s’est soucié que d’engranger des bénéfices. La SNEC, compagnie nationale de distribution de l’eau, en cours de privatisation, est dans un état de désastre analogue. Les manifestations d’Abong-Mbang sont hautement significatives. Elles ont été le fait majoritairement des jeunes lycéens. Le préfet luimême et les gendarmes n‘ont pas hésité à tirer sur des adolescents, provoquant une colère qui s’est soldée par l’incendie de la préfecture, des bureaux de AES-Sonel, de la SNEC et d’autres édifices. Cette révolte pour les biens publics montre l’exaspération d’une population pour qui rien n’a été fait depuis des décennies. L’État camerounais, type même de l’État prédateur, n’a jamais fait les investissements nécessaires, laissant se dégrader le patrimoine public, au profit des prélèvements de la corruption.
Ces manifestations sont d’autant plus remarquables qu’elles interviennent non dans une région traditionnellement opposante mais dans un fief du pouvoir en place, qui se repose sur l’engraissement des élites locales, sans aucune considération du bien-être de la population dans son ensemble, supposée acquise inconditionnellement. Les autorités affolées par ces événements surprenants ont immédiatement promis le rétablissement rapide d’une fourniture suffisante d’électricité. Mais la colère populaire, reflet exact de l’état d’esprit d’une population qui est censée avoir voté en juillet dernier à une écrasante majorité pour le pouvoir en place, n’a certainement pas fini de s’exprimer.
La dégradation des conditions de vie est en effet patente et s’aggrave de façon exponentielle. Lasse de subir un sort misérable, la jeunesse réclame des autorités qu’elles remplissent leur rôle de gestion décente des biens publics. C’est une grande nouveauté et c’est le signe de changements irréversibles dans les mentalités. Le vieux clientélisme est impuissant désormais à maintenir les habitants dans la sujétion.
Au même moment en France, le vendredi 21 septembre au matin, un charter d’expulsés s’est discrètement envolé pour le Cameroun avec sa cargaison de sanspapiers, refoulés d’un territoire où ils avaient espéré pouvoir vivre dignement après avoir fui le sort qui leur était réservé sur leur sol natal. Ni la répression, ni l’expulsion, ne pourront désormais masquer le puissant désir d’un avenir décent qui anime la jeunesse africaine, prête à combattre tous les obstacles pour y parvenir. Il faudra en tenir compte.
Odile Tobner