Survie

La mémoire interdite de Thomas Sankara

Le Burkina Faso commémore, ce quinze octobre, le xxe anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara. Une célébration, sous tension, qui cristallise une nouvelle fois les passions autour de la mémoire de ce chef d’État exceptionnel, symbole d’intégrité.

(mis en ligne le 1er octobre 2007) - Rémy Rivière

Ce quinze octobre sera marqué dans
plusieurs pays par le souvenir
de ce dirigeant révolutionnaire
dont le bref exercice du pouvoir, de 1983
à 1987, rayonne encore sur le continent
africain. Mais à Ouagadougou, cette
célébration promet de cristalliser une
nouvelle fois les passions autour de la
mémoire de ce chef d’État singulier, symbole
d’intégrité, dont l’exemple continue,
vingt ans après, d’agiter la vie politique
du Burkina Faso. De nombreuses formations
politiques se réclament aujourd’hui
de l’idéal sankariste, face au régime de
Blaise Compaoré, qui, en retour, depuis
son accession au pouvoir à la faveur du
coup d’État sanglant du 15 octobre 1987,
ne parvient pas à se soustraire à l’ombre
immense et accusatrice de Thomas Sankara.

Thomas Sankara défie les ans et continue
de faire l’actualité en nourrissant la
réflexion sur l’annulation de la dette des
pays africains, la lutte contre le néocolonialisme
et la corruption, la moralisation
de l’administration, la promotion des
femmes et des jeunes, la santé, la scolarisation…
Autant de dossiers sur lesquels
le Burkina Faso a régressé depuis vingt
ans. Altermondialiste avant l’heure, Thomas
Sankara, bénéficie aujourd’hui d’un
capital de sympathie qui s’étend bien audelà
des frontières du Burkina, comme
en a attesté le forum social de Bamako
en 2005, et la jeunesse n’en finit pas de
brandir l’image idéalisée de son « Che
africain ». Blaise Compaoré, élu démocratiquement
et à vie par le jeu d’astuces
électorales, doit composer avec l’embar-
rassant souvenir de son prédécesseur.
Et si la première volonté de
l’autoproclamé « Rectificateur de
la révolution » fut d’enterrer les
années Sankara sous une chape de
plomb, il fut aussi contraint de récupérer
cette mémoire vivace, en
proposant par exemple, en 2001,
puis en 2006, d’ériger un mausolée
à la mémoire de Thomas Sankara,
ce qui reste un voeu pieux.
Dans cette tentation de contenir
la mémoire de Sankara, le régime
organise ce quinze octobre un
colloque international sur la démocratie
et le développement en
Afrique. Une célébration coûteuse
et tapageuse de l’accession au
pouvoir de Blaise Compaoré, qui
sert surtout de prétexte aux autorités
pour refuser aux sankaristes
les lieux publics devant accueillir
leurs manifestations. Mais l’interdit
de mémoire qui pèse sur
Sankara ne peut tenir. Avec une
tranquille assurance, le président du Comité
d’organisation du xxe anniversaire
de cet assassinat, le journaliste burkinabé
Chériff Sy, estime que « si les partisans
de Blaise Compaoré ont décidé de faire
le festin de l’assassinat de Thomas Sankara,
ce ne sont pas les sankaristes qui
les en empêcheront
 ».

Mémoire confisquée

De nombreuses personnalités du monde
entier participeront à cette commémoration
qui rassemblera tous les partis sankaristes.
Contre une mémoire confisquée
par le pouvoir, les organisateurs proposent
notamment un symposium international
pour définir ce qu’est le Sankarisme et en
mesurer les résonances aujourd’hui. Et si
ces manifestations sont vouées au succès
populaire, à l’image des projections de
deux nouveaux documentaires consacrés
à Thomas Sankara qui ont été prises
d’assaut dans la capitale, ces rencontres
se feront dans la tension. Le vingt-huit
septembre, le chanteur et animateur de
la radio Ouaga FM, Sams’k le Jah, a vu
son véhicule incendié. Menacé de mort
depuis qu’il ressuscite le souvenir de
Sankara auprès de la jeunesse, il illustre
ainsi les failles et l’impuissance d’un régime
qui tente aujourd’hui de redorer son
blason. Blaise Compaoré, pompier pyromane,
ne désespère pas d’obtenir le
prix Nobel de la paix en tentant de faire
oublier son rôle prépondérant dans
les conflits de Côte d’Ivoire, de Sierra
Leone, du Liberia. En quête d’une nouvelle
virginité, son image d’assassin de
Thomas Sankara devient pesante. Mais
cette mémoire interdite n’en finit pas de
ressurgir, à mesure que la justice avance.
En 2004, le général John Tarnue a
raconté devant le tribunal spécial des
Nations unies en Sierra Leone, comment
Compaoré a organisé cet assassinat.
En 2006, le Burkina a été condamné
par le comité des Droits de l’homme
de l’ONU pour « traitement inhumain »
contre la famille Sankara qui réclame
un procès sur cet assassinat. Officiellement,
Thomas Sankara est mort « de
mort naturelle ». Mais il semble que ce
soit plutôt sa vie qui reprenne naturellement
un rôle de premier plan au Burkina
Faso.

Rémy Rivière

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 162 - Octobre 2007
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