Survie

Leçons d’une soirée de prières

La mission catholique de Gisors, dans l’Eure, a organisé, le 13 septembre, une réunion autour de l’affaire du prêtre Wenceslas Munyeshyaka, accusé de génocide devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

(mis en ligne le 1er octobre 2007) - Marcel Kabanda

Wenceslas Munyeshyaka est arrivé
dans cette mission de Normandie
en 2001. Il venait de la mission des
Andelys. Depuis sept ans, les chrétiens de Gisors
ont entendu que ce prêtre venu du Rwanda
est poursuivi pour des crimes commis dans
le cadre du génocide. Ils ont appris au début de
l’été qu’il avait été arrêté et mis en prison à la
demande du Tribunal pénal international. Puis
ils ont appris qu’il avait été relâché non pas
parce qu’il avait été reconnu innocent des faits
à lui reprochés mais parce que la juridiction
onusienne d’Arusha avait mal présenté sa requête.
Ils ont fini par se demander si l’homme
à qui l’évêque d’Evreux a confié la direction
de leur âme ne s’était pas lui-même égaré ou
s’il était victime d’une odieuse persécution.
L’organisateur de la rencontre a ouvert les
travaux de la réunion en déclarant que celleci
avait pour but de rassurer une communauté
troublée par les démêlés judiciaires de son
prêtre. Il fallait, disait-il, que les paroissiens
« entendent une autre parole ».

Le soin apporté au choix de ceux qui pouvaient
porter cette bonne parole est un indice
de la profondeur du trouble. Outre la présence
de Pierre Péan, dont je ne parlerai pas ici car il
s’agit d’un témoin de seconde main, il y avait
à la tribune trois Rwandais : le général Habyarimana
(Suisse), Aloys Simpunga (Belgique)
et Gahururu (Allemagne). Les deux derniers
ont assuré avoir très souvent croisé Wenceslas
Munyeshyaka et avoir travaillé avec lui pendant
le génocide pour mettre à l’abri des Tutsi
pourchassés à Kigali.

Aloys Simpunga était sous-préfet de Kigali.
Son compatriote Gahururu, directeur général
au ministère de la Famille durant le génocide,
était l’un des responsables de la Croix rouge
rwandaise. Le troisième témoin rwandais était
venu témoigner de ce qu’il avait pu apprendre
des autres pendant qu’il était ministre de
la Défense au Rwanda : « Le dossier de Wenceslas
Munyeshyaka est vide. »
Ce sont tous
d’anciens serviteurs du régime responsable
du génocide. Les supérieurs directs de Gahururu
et de Simpunga, respectivement Pauline
Nyiramasuhuko et le colonel Renzaho sont en
prison à Arusha. Ils sont poursuivis pour crime
et complicité de génocide. Il faut souligner que
ni la défense ni le procureur international n’ont
voulu faire témoigner ces personnes dans les
procès contre leurs patrons. Devant une cour,
leur prestation aurait eu sans doute été d’un
grand intérêt. Mais une assemblée de fidèles
confrontés à des témoins qu’elle ne connaissait
pas auparavant, sans moyen d’apprécier
leur crédibilité et d’apprécier leur témoignage
ne pouvait que les écouter. Cela vaudrait la
peine d’aller y faire un tour pour savoir si les
discours de ces hommes ont apporté des réponses
aux tourments dont souffrait cette paroisse.
Deux témoins capitaux manquaient à l’appel.
Le premier est Wenceslas Munyashyaka
lui-même. Il paraît que le contrôle judiciaire
dont il est l’objet l’empêche de paraître dans
des manifestations publiques. Pourtant il dit
des messes ! S’il y a problème entre lui et ses
fidèles, s’il y a malaise dans cette paroisse,
c’est que les chrétiens ne savent plus comment
l’approcher, comment lui exprimer le doute
qu’ils ressentent et la peur qu’ils éprouvent à
lui confier les questions qu’ils se posent à son
égard. Il était étrange qu’il se « cache » en ce
moment crucial du dévoilement sur son passé
et de la libération de la parole sur son sujet.
Son absence dans la salle paraissait tout à fait à
l’opposé de l’objectif visé de renouer les liens
entre la communauté et son spirituel guide. La
transparence et l’opacité se mélangeaient.

L’autre témoignage vainement attendu est celui
des supérieurs hiérarchiques de Wenceslas
Munyeshyaka. En effet, quoi que disent les accusateurs,
les témoins de moralité ou des faits,
seul l’évêque d’Evreux sait pourquoi il l’a
placé là et l’y maintient en dépit de sa condamnation
par contumace à Kigali, de l’existence
d’un mandat d’arrêt du Tribunal pénal international
d’Arusha et de l’instruction ouverte
contre lui par la justice française. Wenceslas
Munyeshyaka a été arrêté et mis en prison en
1995. Les évêques de France n’ont pas attendu
l’arrestation de juin 2007 pour mener des enquêtes
sur les fondements des plaintes portées
contre lui. Mais dans cet instant où les fidèles
cherchaient à comprendre qui est véritablement
Wenceslas Munyeshyaka, il est apparu
qu’ils étaient seuls, le curé de la paroisse luimême
ayant choisi de rester discrètement au
fond de la salle.

Deux enseignements ressortent de cette soirée.
Le premier est qu’il y a dans ce pays des
femmes et des hommes capables de se poser
des questions, et pas seulement sur l’emploi,
les retraites et l’environnement, mais aussi sur
des sujets qui a priori paraissent lointains comme
le génocide des Tutsi du Rwanda. C’est un
motif sérieux d’espérer. Il en est cependant
d’autres qui sont solidement attachés à leurs
certitudes. Afficher sa satisfaction à proposer
une parole différente sans prendre soin de vérifier
la qualité des sources est moins une preuve
de neutralité qu’un symptôme d’une cécité qui
ne veut pas se guérir.

Enfin, quoi qu’elle soit, du point de vue du
droit, une excellente avancée, la présomption
d’innocence a quelque chose de frustrant
sur le plan social. On attend de celui
qui prétend à la position de leader qu’il soit
ce que les Rwandais appellent inyangamugayo.
Les amis de Wenceslas Munyeshyaka
ne s’y sont pas trompés. Comme en réaction
aux lenteurs d’une justice qui, pendant
douze ans, a reporté sans cesse l’occasion
d’un procès, ils ont organisé à Gisors
l’équivalent d’un gacaca rwandais. Sauf
qu’ils n’ont convoqué devant la cour que les
témoins de l’accusé.

Marcel Kabanda

a lire aussi