Areva, premier groupe mondial dans
le nucléaire civil, puise 50 % de
son uranium au Niger (cinquième
producteur mondial), représentant 30 % des
besoins français. La multinationale est le
deuxième employeur du pays qui, en dépit
de ses richesses minières, reste l’un des plus
pauvres du monde. En juin et juillet, le chef
de la sécurité du groupe, Gilles Denamur, et
son directeur, Dominique Pin, ont été tour à
tour expulsés du pays. Ils sont accusés par le
président Mamadou Tandja d’avoir financé
des déserteurs de l’armée nationale qui ont
rejoint la rebellion du Mouvement nigérien
pour la justice (MNJ). Ils auraient également
aidé cette rébellion de diverses manières.
Areva se défend en affirmant n’avoir
fourni de l’argent (au moins 80 000 euros)
que pour acheter la sécurité de ses salariés.
Denamur et Pin ne sont pas des enfants de
choeur. Le premier est un ancien colonel
de l’armée française « accusé d’avoir dans
les années 1990 encouragé un soulèvement
autonomiste touareg » (Reuter, 2 août
2007). Le second, Survie l’avait rencontré
alors qu’il était numéro deux de la cellule
Afrique de l’Élysée de 1991 à 1995. Pendant
cette période, Anne Lauvergeon, actuelle
présidente d’Areva, était justement
secrétaire générale adjointe de l’Élysée et
« Sherpa » de François Mitterrand. Dominique
Pin a été envoyé au début de cette année
au Niger par elle pour y défendre les intérêts
du groupe face à la concurrence naissante
sur place. Au mieux, il a acheté la sécurité
d’Areva au détriment des firmes chinoises
récemment arrivées, au pis, il a tenté d’instrumentaliser
la rébellion contre le pouvoir
central de Niamey.
Cette crise coïncidait avec la renégociation
de la convention liant le Niger à Areva, et
a été utilisée par les autorités nigériennes
pour hausser le ton. Et le Premier ministre
Seyni Oumarou de proclamer que « plus
rien ne sera[it] comme avant » (AFP,
1er août 2007). Le monopole d’Areva et
le prix d’achat de l’uranium ont donc été,
cet été, au coeur des négociations menées
entre les États nigérien et français. On a
d’ailleurs vu, à Niamey, Bruno Joubert,
conseiller Afrique de l’Élysée. La situation
de la multinationale française, à capitaux
encore largement publics, est restée
inchangée depuis l’accession du Niger à
l’indépendance. En 1961, le Niger, comme
d’autres anciennes colonies, contracte un
accord de défense avec la France. Le texte
contient des clauses secrètes et notamment
un volet économique d’approvisionnement
préférentiel en « matières premières et
produits stratégiques ». En 1974, Hamani
Diori est renversé pour avoir, entre autres,
voulu remettre en cause le pacte néocolonial.
Si l’accord de défense a été dénoncé
un an plus tôt, la situation de monopole
sur l’uranium a perduré. C’est ce qui a
permis à la France d’alimenter le premier
parc nucléaire mondial à des prix défiant
toute concurrence. Ainsi en 2007, le produit
était-il acheté 41 euros le kilo contre
186 euros sur le marché international.
Mamadou Tandja, qui réclamait initiale-
ment la maîtrise de 1 500 tonnes d’uranium,
n’a finalement obtenu d’en vendre que
300 tonnes, en 2007-2008, sur le marché
mondial (alors qu’Areva produit de son côté
3 500 tonnes par an). Le prix de l’uranium a
par ailleurs été fixé à 60 euros/kg pour 2007
et doit être réévalué tous les ans, du moins
selon les autorités nigériennes. Cet embryon
de réappropriation va-t-il se poursuivre ? Les
mouvements sociaux nigériens imposeront-
ils sa redistribution ? Dans le cas contraire,
cette avancée des négociations ne fera
qu’alimenter les dépenses militaires et les
cassettes personnelles des dignitaires du régime.
Areva a également accepté une avance
de 15 milliards de francs CFA sur dividendes,
et Paris aurait promis une aide dans la lutte
contre le MNJ. Areva s’est, quant à elle, vu
attribuer cinq nouveaux permis d’exploration
en plus de quatre récemment obtenus. Elle
a annoncé vouloir doubler sa production.
Même si l’attribution de permis de prospection
et d’exploitations à des sociétés chinoises,
canadiennes, britanniques et indiennes se
multiplient depuis 2006 et ont mis un terme à
son monopole, la position dominante d’Areva
est pour l’instant d’autant moins menacée
qu’elle détient les cartes géologiques du pays
et qu’elle ne semble pas très pressée d’en
faire profiter la concurrence...
Victor Sègre