Survie

Un paysage politique en pleine recomposition

Conséquence du dialogue direct entamé en début d’année, le rapprochement Gbagbo-Soro n’a pas fini de recomposer le paysage politique ivoirien, détournant trop facilement l’attention des médias d’une situation des Droits de l’homme déplorable.

(mis en ligne le 1er novembre 2007) - David Mauger

La trêve médiatique qui avait accompagné le dialogue direct et l’accord de Ouagadougou du 4 mars dernier est maintenant bien terminée. Une succession d’articles de la presse d’opposition sur les « affaires » – de fausse monnaie, de détournement de l’argent du cacao, d’enlèvement du journaliste Guy-André Kieffer – critique violemment le président Laurent Gbagbo. Mais, paradoxalement, la première attaque du régime ivoirien est venue cet été du président de l’Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, dénonciateur du « pacte colonial » liant la Côte d’Ivoire à la France et membre du parti au pouvoir, que l’on a connu jusque-là ardent défenseur de la légitimité de Gbagbo. Une dissidence assumée s’est fait jour au sein du Rassemblement des républicains (RDR), le parti d’Alassane Ouattara, débouchant sur la création de l’Alliance pour la Nouvelle Côte d’Ivoire de Zémogo Fofana.

Dissensions chez les rebelles

Mais c’est au sein de la rébellion que les dissensions sont les plus fortes. L’attentat du 29 juin dernier contre l’avion du Premier ministre et leader politique de la rébellion Guillaume Soro, dans son fief de Bouaké, a montré l’absence de consensus au sujet de l’accord de Ouagadougou.

La promotion d’une petite élite de la rébellion aux postes gouvernementaux, sa participation aux Fêtes de réjouissances des patriotes et son allégeance portée à Gbagbo est en flagrante contradiction avec les revendications initiales des rebelles. Ce qui laisse planer le doute sur sa capacité à maîtriser l’ensemble des « forces nouvelles ».

Au sein de ce noyau, le commandant Issiaka Ouattara (ou Wattao), chef d’état major adjoint de la rébellion, avait fait des déclarations jetant la suspicion sur les « forces impartiales » (Licorne et Onuci) au lendemain de l’attentat du 29 juin. Plus précisément, il s’interrogeait sur la présence d’un véhicule de l’armée française bloquant l’une des pistes et sur le repli des casques bleus marocains au moment de l’attaque. À la demande de la Côte d’Ivoire, l’ONU a diligenté une enquête internationale. Entre-temps, le contingent marocain a été suspendu pour des affaires d’abus sexuels sur mineures.

Médias aveugles

Les médias d’opposition mettent l’accent sur la situation sociale déplorable, les mouvements de protestation de certaines professions et sur les « affaires » du régime du Front populaire ivoirien (FPI), ciblant nommément Gbagbo comme le responsable de cette situation.

Guillaume Soro reste relativement épargné par les attaques des journalistes sur son « virage » politique et sa gestion au niveau gouvernemental comme dans son fief.

Pourtant les critiques légitimes ne manqueraient pas. L’application du chronogramme dont il a la charge, établi à Ouagadougou, tourne au fiasco. Le centre de commandement intégré – rassemblant les officiers loyalistes et rebelles – n’est qu’une coquille vide. Le désarmement des milices et des rebelles n’a pas dépassé le stade symbolique. Les audiences foraines – censées résoudre les problèmes d’étatcivil, avant la mise à jour des listes électorales – sont loin de rencontrer le succès escompté.

Désastre sanitaire et sécuritaire

Non seulement le processus politique est au point mort, mais, surtout, la situation des populations en zone rebelle est plus que jamais catastrophique. Les derniers rapports d’organismes onusiens – ONUCI, Groupe d’experts sur la Côte d’Ivoire, FAO - s’accordent sur la recrudescence de l’insécurité dans la partie du pays gérée par la rébellion.

Dans son rapport de septembre, le groupe d’experts de l’ONU sur la Côte d’Ivoire note : « Dans cet état de transition, on remarque également la recrudescence de cas d’abus d’autorité tels que des arrestations et détentions arbitraires, des mauvais traitements et des exécutions extrajudiciaires. À titre illustratif, lors d’un séjour dans la partie nord du pays, le Groupe a obtenu des informations documentées au sujet d’un épisode qui s’est conclu par le décès d’une personne à la suite des tortures qui lui ont été infligées par des éléments des FDS-FN (forces de défense et de sécurité des Forces Nouvelles) lors de son arrestation. Ces faits se sont produits au secrétariat général des FN, à Bouaké, entre le 29 et le 30 août 2007, date à laquelle les experts ont été reçus en audience, en ce même endroit, par le secrétariat général et l’état-major des forces armées des FN. »

Autre exemple éloquent, à Bouna, le 21 octobre, des rebelles ont tiré sur un groupe de jeunes qui manifestaient contre les « taxes », faisant un mort et une dizaine de blessés.

Le risque le plus important actuellement est sans doute celui d’une déliquescence de la rébellion, d’une autonomisation des commandants de zone et d’une course de toutes les composantes de la rébellion à l’argent – du petit soldat au commandant de zone.

La Côte d’Ivoire à l’ONU

Lors de la présentation du quatorzième rapport du secrétaire général Ban Ki-moon sur l’Onuci, l’ambassadeur ivoirien a suggéré que l’initiative des projets de résolution sur la Côte d’Ivoire soit désormais laissée aux trois membres africains du Conseil de sécurité plutôt qu’à la France. Notons qu’à compter du 1er janvier 2008, les trois membres en question, admis pendant deux ans, seront le Burkina Faso, la Libye (2008-2009) et l’Afrique du Sud (2007-2008).

Lors de sa venue en septembre à l’ONU, Laurent Gbagbo s’est accordé avec Ban Ki-moon sur le nom de son nouvel envoyé spécial en Côte d’Ivoire, Choi Young-Jin, qui sera aussi chargé des élections. À moins d’une forte ingérence internationale, Laurent Gbagbo part avec une bonne longueur d’avance dans ce scrutin – si le chronogramme de Ouaga aboutit...

David Mauger

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 163 - Novembre 2007
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