En vingt-cinq ans le Cameroun, considéré
dans les années 70 comme l’un
des pays les plus prometteurs parmi
les pays émergents en raison de la richesse
et de la variété de ses ressources, a régressé
au rang de pays très pauvre. Cent vingt-septième
sur cent quatre-vingt pour le PIB, il
chute au cent quarante-huitième rang pour
l’indice de développement humain. Depuis
des dizaines d’années, l’État n’a investi ni
dans la santé ni dans l’éducation ni dans
les infrastructures. Pourtant les ressources
naturelles, particulièrement le pétrole
et le bois, sont exploitées massivement.
L’oligarchie au pouvoir a connu un enrichissement
pharaonique. Paul Biya a pu
ainsi, entre autres libéralités, faire cadeau
à la secte française de l’Ordre souverain du
temple initiatique (Osti) d’un immeuble au
22 de la rue Beaunier dans le xive arrondissement
parisien.
Les programmes d’ajustement structurel
imposés par la Banque mondiale ont amené
à brader les services publics des chemins de
fer (Régifercam, devenu Camrail), acquis
par Vincent Bolloré, de l’électricité (Sonel)
vendu au groupe américain AES. La distribution
de l’eau vient d’être attribuée en septembre
2007 à l’Onep (Office national de
l’eau potable du Maroc). D’autres services,
téléphone, transport aérien, vont suivre. Le
résultat pour les usagers se traduit par une
dégradation des services et une augmentation
galopante des prix.
Présenté comme un pays calme, le Cameroun
connaît de graves problèmes
d’insécurité. Dans le Nord, des bandes
armées de « coupeurs de routes » font régner
la terreur en pillant et en rançonnant. Né
au Cameroun, le phénomène s’est étendu à
la Centrafrique voisine.
L’insécurité règne également à Douala et
à Yaoundé. Nombre d’étrangers ont été
assassinés par des malfrats : une chercheuse
française, une commerçante chinoise, un
diplomate marocain, pour ne citer que les
victimes les plus récentes.
Les conditions de vie qui se dégradent
aboutissent de plus en plus souvent à des
affrontements entre la population et les autorités.
Depuis quelques semaines, on compte
au moins six morts : deux à Abong Mbang,
tués lors d’une manifestation pacifique pour
protester contre la privation d’électricité
depuis quatre mois. Deux au marché Mokolo
à Yaoundé lors de la destruction des échoppes
sur les trottoirs. Le commerce et les activités
« informelles » sont la seule possibilité
de survie pour les trois quarts de la population.
Deux jeunes moto-taxis enfin ont été
victimes, à Bamenda, de la répression de leur
mouvement de protestation après le tabassage
d’un des leurs par la police.
Ces révoltes, traduisant l’exaspération
de la population, cadrent assez peu avec
l’écrasante victoire électorale que le
parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique
du peuple congolais (RDPC),
vient d’obtenir aux élections législatives et
municipales de juillet dernier. Une victoire
obtenue, comme d’habitude, par une fraude
massive et multiforme (Billets d’Afrique
n° 161, septembre 2007). Jean-Marie Bockel,
secrétaire d’État à la Coopération, de passage
à Yaoundé début octobre, s’est risqué à
dire qu’il y avait des progrès à faire dans la
gouvernance.
Mais le Cameroun a été bien reçu avec les
honneurs à l’Élysée. C’est en effet un des
pays les plus importants stratégiquement en
Afrique, le pivot de l’Afrique centrale. La
France va y implanter, à Awaé, une École
internationale des forces de sécurité (Eiforces).
Le projet de création est, en effet,
selon le Cameroon tribune du 3 octobre,
« l’expression de la volonté du Cameroun
de voir le Ctpmo (Centre de perfectionnement
des techniques de maintien de l’ordre)
d’Awaé s’ériger en une école à vocation internationale,
ayant pour mission essentielle
de préparer des unités constituées de la gendarmerie
aux missions policières de maintien
de la paix ». Plus que jamais les grandes puissances
s’intéressent à ce coeur de l’Afrique
regorgeant de ressources. Les enjeux pour le
contrôle des matières premières passent loin
devant les droits et le sort des habitants dont
les velléités de révolte seront tenues en lisière
par l’intimidation. Pour le sale boulot, rien
ne vaut un dictateur ami.
Odile Tobner