Enjeu majeur pour la pacification du pays, après le coup d’État électoral d’avril 2005, les élections législatives au Togo se sont déroulées le 14 octobre dernier, en présence d’observateurs de l’Union africaine, de l’Union européenne, de l’Organisation internationale de la francophonie et de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui ont estimé le déroulement de la consultation satisfaisant et transparent. Dimas Dzikodo, directeur de publication du journal le Forum de la Semaine commente le résultat de ces élections.
Billets d’Afrique. La campagne législative
togolaise semble s’être déroulée dans le
calme et dans le respect du débat démocratique,
ce qui tranche avec le climat de la
présidentielle d’avril 2005. Comment expliquez-
vous ce relatif apaisement ?
Dimas Dzikodo. Il faut saluer le calme et la
sérénité qui ont entouré ce scrutin. Faure
Gnassingbé savait que tout dérapage du
processus électoral sonnerait le glas de son
régime. L’opposition, qui s’illusionnait de
remporter ce scrutin, y a également contribué.
C’est la conjonction de ces deux éléments qui a
permis de déjouer les pronostics les plus sombres
de tous ceux qui pariaient que la violence,
une arme de prédilection du RPT, s’inviterait
au cours de cette confrontation politique.
BdA. N’est-il pas étonnant que la plupart
des partis aient accepté d’aller aux élections
malgré un découpage électoral très
favorable au RPT et des listes électorales
inchangées depuis 2005 ? Pensaient-ils
avoir suffisamment de garanties quant à la
transparence du scrutin ?
D.D. C’est vrai que le découpage électoral
actuel pose problème, car, dans certaines
circonscriptions électorales, il faut cent mille
électeurs pour un siège dans le sud du pays,
alors que dans d’autres, celles du Nord, il en
faudrait dix mille. Qu’importe, tous les
acteurs majeurs de la vie politique nationale
ont accepté d’entrer dans la compétition avec
un schéma a priori défavorable à une partie.
Et les résultats sont là, semblant démontrer
que le peuple togolais est un peuple sadomasochiste.
Ce qui est loin de la réalité sur le
terrain. La classe politique dans les réformes
annoncées devra examiner ce point pour
qu’aux prochaines législatives les populations
soient mieux représentées à l’Assemblée nationale.
Quant à la liste électorale elle a évolué
car il y a eu au début du processus électoral un
recensement général de la population.
BdA. Quel a été, selon vous, le niveau de
transparence de ce scrutin, du vote à la
proclamation des résultats, en passant par
le dépouillement des bulletins ? Les observateurs
internationaux ont-ils fait correctement
leur travail ?
D.D. Globalement, le niveau de sincérité de
ce scrutin tranche par rapport aux autres scrutins
que le Togo a connus. La seule tache noire
de tout ce processus reste la pénurie orchestrée
des timbres d’authentification, le taux élevé
de bulletins nuls, plus important que le niveau
d’abstention, et l’attitude de la Commission
électorale nationale indépendante (Ceni), supposée
indépendante et impartiale, dans son refus
d’examiner le recours introduit par l’UFC,
qui se plaint, à juste titre, des quarante mille
votes en sa faveur annulés par des bureaux de
vote accusés de corruption. Les observateurs
ont eu une attitude politique par rapport aux
résultats. Ils connaissaient tous la réalité des
résultats, mais ont certainement estimé qu’une
alternance incarnée par l’UFC à la suite de ce
scrutin provoquerait des soubresauts risquant
de plonger le Togo dans l’abîme.
Il n’y a aucune logique dans les résultats incohérents
affichés par la Ceni. Mais le Togo a
besoin de calme et de la reprise de la coopération.
C’est ce fil d’Ariane qui a conduit les
éloges dithyrambiques de ces observateurs et
en particulier ceux de l’UE dont l’attitude a
choqué les Togolais.
BdA. Il paraissait inconcevable que le RPT
obtienne la majorité des voix, depuis la répression
violente du printemps 2005. Audelà
des fraudes dénoncées par l’UFC,
quelle est la signification du vote RPT ?
D.D. La victoire du RPT est amère et difficile
à avaler, car elle dément deux réalités, d’abord
la sanction par le suffrage universel des
leaders de l’opposition, qui, depuis un an,
ont parti-cipé au gouvernement RPT, et la
contestation populaire ouverte du régime pour
sa mauvaise gouvernance des affaires du pays.
La réalité est que la majorité des électeurs a
voté pour l’Union des forces de changement [1].
BdA. Comment envisagez-vous l’avenir du
processus démocratique au Togo après ces
élections ? Quel rôle peut jouer la communauté
internationale (la France) ?
D.D. Le duel de l’UFC et du RPT sur le
décompte des bulletins nuls devra trouver une
issue sérieuse sinon, demain, l’engouement
populaire qu’il y a eu autour de ce scrutin va
retomber comme un soufflé.
Faure a fait un parcours sans faute depuis le
début de ce processus mais son intégrité morale
risque de se noyer dans les appétits gloutons
de son parti qui dispose d’une majorité
parlementaire qui défie son impopularité dans
le pays, du sud au nord.
Pour finir, il est impérieux de souligner que
la communauté internationale, la France,
l’UE et les autres partenaires au développement
ne doivent pas se noyer dans un
satisfecit béat exprimé face à ce scrutin. Ils
ont un devoir de vigilance envers ce pays
où la dynastie et la royauté sont en train
d’être légitimées avec un ravalement démocratique
de façade. Bref, que la chape
de plomb ne tombe pas sur le cri du pauvre
peuple togolais !
Propos recueillis par Fabrice Tarrit
[1] L’UFC a en effet obtenu ses meilleurs scores dans les circonscriptions les plus peuplées du Sud, tandis que le RPT « faisait le plein » au Nord, dans des circonscriptions peu peuplées. Dans l’absolu, et dans l’attente des résultats de Lomé, l’UFC a donc probablement obtenu plus de suffrages que le parti vainqueur au plan national. C’est le résultat de l’incohérence du découpage électoral, dénoncé par Dimas Dzikodo dans cette interview (NDLR).