Survie

L’impossible mission ?

(mis en ligne le 1er novembre 2007) - Pierre Rohman

Une mission d’information parlementaire sur les relations franco-africaines vient d’être créée en toute discrétion. Si sa composition est connue, ses objectifs paraissent flous. Les associations mobilisées sur ce thème se veulent coopératives mais vigilantes.

Ce n’est qu’au détour d’un échange avec l’un des élus qui a accepté d’y prendre part que des représentants d’ONG françaises ont appris, à la fin du mois de septembre, la création par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale d’une mission d’information sur la politique africaine de la France. Relayée par Rue89.com et par quelques entrefilets dans la presse, la nouvelle est restée assez confidentielle, malgré l’importance qu’elle revêt pour les partisans d’une politique de la France en Afrique responsable et transparente.

Cette mission s’avère pourtant tout à fait officielle et, si elle n’est annoncée nulle part sur le site de l’Assemblée nationale, ce ne serait qu’« en raison de l’actualisation lente du site » apprend t-on auprès des services de l’Assemblée, toutefois bien disposés à fournir les informations demandées à son sujet.

Un programme de travail en cours d’élaboration

La mission d’information sur la politique africaine de la France (les associations préfèrent parler de « politique de la France en Afrique » mais ne brusquons pas les choses) rassemble une dizaine de députés (6 UMP et 4 PS). Elle a débuté ses travaux au mois de septembre et devrait les poursuivre pendant une durée assez longue, environ dix-huit mois, avant de les conclure par un colloque à l’Assemblée. Des auditions et des déplacements sont en train d’être programmés. Pour l’anecdote, c’est l’ancien ministre de la Coopération Jacques Godfrain (lequel a sans doute beaucoup à confesser), qui a eu l’honneur d’inaugurer la séance des auditions. Pour mesurer l’intérêt potentiel de cette mission il faut bien sûr s’intéresser à son programme de travail, en cours d’élaboration, mais surtout à sa composition, l’esprit critique étant, on le sait, inégalement réparti sur les bancs de l’Assemblée, notamment en matière de politique étrangère.

Un casting sarkozien

À première vue, le casting de cette mission apparaît hétérogène et fidèle à l’esprit « sarkozien » : quelques opposants pour l’« ouverture », quelques novices pour afficher la « rupture » et quelques fidèles pour contrôler le tout. Parmi les « novices » notons la présence du député Jean-Louis Christ, inconnu du grand public et des ONG (et pour cause, il ne semble avoir jamais travaillé sur les questions de développement) mais parachuté président de la mission. À ses côtés, le secrétaire général du Parti radical (affilié à l’UMP) Renaud Dutreil, au palmarès quasiment vierge en matière de relations franco-africaines, si l’on excepte le terrible aveu présidentiel formulé à l’occasion de la remise de la Légion d’honneur à Robert Bourgi (Nicolas Sarkozy a remercié Renaud Dutreil de lui avoir soumis la candidature de Bourgi, voir article p. 4). Pas si novice que ça, finalement, l’ancien secrétaire d’État aux PME, qui, d’après la Lettre du Continent du 11 octobre 2007, ambitionnerait le poste de secrétaire d’Etat à la Coopération. Mais ce n’est rien en comparaison de Patrick Balkany, ancien disciple de Charles Pasqua dans les Hauts-de-Seine aujourd’hui inséparable de Nicolas Sarkozy, qu’il a accompagné en Lybie et au Gabon et qui, d’après le journal en ligne Backchich (Xavier Monnier, le 6 août 2007), semble s’intéresser de (trop) près aux richesses du Katanga (RDC). Balkany, futur missi dominici de la Françafrique ?

Rassurons-nous toutefois de la présence dans cette mission des députés socialistes Serge Janquin et François Loncle, qui se sont fendus par le passé d’interventions critiques à la tribune de l’Assemblée sur certaines dérives de la politique de la France en Afrique comme les élections au Togo ou l’affaire Borrel. « Je plaide depuis plusieurs années pour la fin du système de la Françafrique », écrivait ainsi Serge Janquin en retour du questionnaire sur les relations franco-africaines adressé par Survie à tous les députés. Mais quels rapports de force parviendront à établir ces députés si la mission s’avère trop complaisante ?

Un nécessaire travail de vérité

On le voit, la création de cette mission apporte, pour l’instant, davantage de questions que de réponses. Sur sa finalité d’abord. Si Survie a demandé à tous les parlementaires élus en juin de se prononcer sur la création d’une commission d’enquête parlementaire chargée de réaliser un bilan des politiques françaises en Afrique (avec des réponses plutôt encourageantes), rien ne garantit que la mission aboutira aux conclusions souhaitées par l’association. Le risque de voir la mission dédouaner la France de ses responsabilités politiques est grand, de même que celui de voir des députés « libéraux » conclure que l’Afrique, l’aide publique et les bases militaires « coûtent cher » (on l’entend dans les rangs politiques de tous bords) et qu’il faut donc couper les ponts pour obéir à une logique purement gestionnaire, qui occulterait par ailleurs tous les bénéfices réalisés sur le dos des Africains.

Sur les modalités de son travail de recherche, ensuite. On l’a vu avec la mission de 1998 sur le Rwanda, une mission d’information n’a pas les pouvoirs d’une commission d’enquête, ce qui relativise la portée de son action. C’est une des raisons pour lesquelles Survie demande l’ouverture d’une vraie commission d’enquête sur le rôle de la France dans le génocide au Rwanda. De plus, en fonction du choix de la séquence historique et de l’étendue du champ politique, économique et militaire couvert par la mission, certaines investigations sur les crimes coloniaux et néocoloniaux, le pillage des ressources, les interventions militaires, les financements occultes, le rôle des réseaux pourraient être soigneusement évitées. Une hypothèse inadmissible pour tous ceux qui plaident pour la transparence des relations franco-africaines et qui exigent qu’un vrai travail de vérité soit poursuivi.

La société civile enfin entendue ?

Le choix des personnalités auditionnées est la dernière des inconnues et pas la moindre. Outre les politiques et les experts plus ou moins autoproclamés, il est indispensable que cette mission écoute les associations et les mouvements citoyens, qui, en France comme en Afrique, enquêtent, dénoncent les dérives de la Françafrique et tentent de construire en toute objectivité des relations franco-africaines apaisées, fondées sur le respect mutuel et la défense d’intérêts communs.

Si tel s’avère être également le but de cette nouvelle mission d’information et si celle-ci parvient à trouver un écho qui dépasse le cadre feutré et policé du palais Bourbon, pour atteindre le Palais de l’Élysée voisin, nous serons les premiers à nous en féliciter. De la qualité du processus de concertation établi avec cette mission (déjà contactée par la Plate-Forme citoyenne France-Afrique, initiée par Survie) nous tirerons des raisons d’espérer… ou de continuer à monter au créneau, encore et toujours.

Pierre Rohman

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