Une mission d’information parlementaire sur les relations franco-africaines vient d’être créée en toute discrétion. Si sa composition est connue, ses objectifs paraissent flous. Les associations mobilisées sur ce thème se veulent coopératives mais vigilantes.
Ce n’est qu’au détour d’un échange
avec l’un des élus qui a
accepté d’y prendre part que
des représentants d’ONG françaises
ont appris, à la fin du mois de septembre,
la création par la commission des
Affaires étrangères de l’Assemblée
nationale d’une mission d’information
sur la politique africaine de la France.
Relayée par Rue89.com et par quelques
entrefilets dans la presse, la nouvelle
est restée assez confidentielle, malgré
l’importance qu’elle revêt pour les partisans
d’une politique de la France en
Afrique responsable et transparente.
Cette mission s’avère pourtant tout
à fait officielle et, si elle n’est annoncée
nulle part sur le site de l’Assemblée
nationale, ce ne serait qu’« en raison de
l’actualisation lente du site » apprend t-on auprès des services de l’Assemblée,
toutefois bien disposés à fournir
les informations demandées à son
sujet.
La mission d’information sur la politique
africaine de la France (les associations
préfèrent parler de « politique
de la France en Afrique » mais ne brusquons
pas les choses) rassemble une dizaine
de députés (6 UMP et 4 PS). Elle
a débuté ses travaux au mois de septembre
et devrait les poursuivre pendant
une durée assez longue, environ
dix-huit mois, avant de les conclure par
un colloque à l’Assemblée. Des auditions
et des déplacements sont en train
d’être programmés. Pour l’anecdote,
c’est l’ancien ministre de la Coopération
Jacques Godfrain (lequel a sans
doute beaucoup à confesser), qui a eu
l’honneur d’inaugurer la séance des
auditions. Pour mesurer l’intérêt potentiel
de cette mission il faut bien sûr
s’intéresser à son programme de travail,
en cours d’élaboration, mais surtout
à sa composition, l’esprit critique
étant, on le sait, inégalement réparti sur
les bancs de l’Assemblée, notamment
en matière de politique étrangère.
À première vue, le casting de cette mission
apparaît hétérogène et fidèle à l’esprit
« sarkozien » : quelques opposants
pour l’« ouverture », quelques novices
pour afficher la « rupture » et quelques
fidèles pour contrôler le tout. Parmi
les « novices » notons la présence du
député Jean-Louis Christ, inconnu du
grand public et des ONG (et pour cause,
il ne semble avoir jamais travaillé
sur les questions de développement)
mais parachuté président de la mission.
À ses côtés, le secrétaire général du
Parti radical (affilié à l’UMP) Renaud
Dutreil, au palmarès quasiment vierge
en matière de relations franco-africaines,
si l’on excepte le terrible aveu
présidentiel formulé à l’occasion de la
remise de la Légion d’honneur à Robert
Bourgi (Nicolas Sarkozy a remercié
Renaud Dutreil de lui avoir soumis
la candidature de Bourgi, voir article
p. 4). Pas si novice que ça, finalement,
l’ancien secrétaire d’État aux PME,
qui, d’après la Lettre du Continent
du 11 octobre 2007, ambitionnerait le
poste de secrétaire d’Etat à la Coopération.
Mais ce n’est rien en comparaison
de Patrick Balkany, ancien disciple de
Charles Pasqua dans les Hauts-de-Seine
aujourd’hui inséparable de Nicolas
Sarkozy, qu’il a accompagné en Lybie
et au Gabon et qui, d’après le journal
en ligne Backchich (Xavier Monnier,
le 6 août 2007), semble s’intéresser de
(trop) près aux richesses du Katanga
(RDC). Balkany, futur missi dominici
de la Françafrique ?
Rassurons-nous toutefois de la présence
dans cette mission des députés
socialistes Serge Janquin et François
Loncle, qui se sont fendus par le passé
d’interventions critiques à la tribune
de l’Assemblée sur certaines dérives
de la politique de la France en Afrique
comme les élections au Togo ou
l’affaire Borrel. « Je plaide depuis plusieurs
années pour la fin du système de
la Françafrique », écrivait ainsi Serge
Janquin en retour du questionnaire sur
les relations franco-africaines adressé
par Survie à tous les députés. Mais
quels rapports de force parviendront à
établir ces députés si la mission s’avère
trop complaisante ?
On le voit, la création de cette mission
apporte, pour l’instant, davantage de
questions que de réponses. Sur sa finalité
d’abord. Si Survie a demandé
à tous les parlementaires élus en juin
de se prononcer sur la création d’une
commission d’enquête parlementaire
chargée de réaliser un bilan des politiques
françaises en Afrique (avec des
réponses plutôt encourageantes), rien
ne garantit que la mission aboutira aux
conclusions souhaitées par l’association.
Le risque de voir la mission dédouaner
la France de ses responsabilités
politiques est grand, de même que
celui de voir des députés « libéraux »
conclure que l’Afrique, l’aide publique
et les bases militaires « coûtent cher »
(on l’entend dans les rangs politiques
de tous bords) et qu’il faut donc couper
les ponts pour obéir à une logique purement
gestionnaire, qui occulterait par
ailleurs tous les bénéfices réalisés sur
le dos des Africains.
Sur les modalités de son travail de recherche,
ensuite. On l’a vu avec la mission
de 1998 sur le Rwanda, une mission
d’information n’a pas les pouvoirs
d’une commission d’enquête, ce qui
relativise la portée de son action. C’est
une des raisons pour lesquelles Survie
demande l’ouverture d’une vraie
commission d’enquête sur le rôle de la
France dans le génocide au Rwanda.
De plus, en fonction du choix de la séquence
historique et de l’étendue du
champ politique, économique et militaire
couvert par la mission, certaines
investigations sur les crimes coloniaux
et néocoloniaux, le pillage des ressources,
les interventions militaires,
les financements occultes, le rôle des
réseaux pourraient être soigneusement
évitées. Une hypothèse inadmissible
pour tous ceux qui plaident pour la
transparence des relations franco-africaines et qui exigent qu’un vrai travail
de vérité soit poursuivi.
Le choix des personnalités auditionnées
est la dernière des inconnues et pas la
moindre. Outre les politiques et les
experts plus ou moins autoproclamés,
il est indispensable que cette mission
écoute les associations et les mouvements
citoyens, qui, en France comme
en Afrique, enquêtent, dénoncent les
dérives de la Françafrique et tentent de
construire en toute objectivité des relations
franco-africaines apaisées, fondées
sur le respect mutuel et la défense
d’intérêts communs.
Si tel s’avère être également le but de
cette nouvelle mission d’information et
si celle-ci parvient à trouver un écho
qui dépasse le cadre feutré et policé du
palais Bourbon, pour atteindre le Palais
de l’Élysée voisin, nous serons les
premiers à nous en féliciter. De la qualité
du processus de concertation établi
avec cette mission (déjà contactée par
la Plate-Forme citoyenne France-Afrique,
initiée par Survie) nous tirerons
des raisons d’espérer… ou de continuer
à monter au créneau, encore et
toujours.
Pierre Rohman