En plus d’une affaire criminelle et du jeu politique de chacun des États, l’affaire de l’arche de Zoé a impliqué des journalistes. À leur insu ? La question mérite d’être posée,et les réponses en disent long sur la vision que portent les télévisions françaises sur l’Afrique.
Figurons-nous l’affaire de l’Arche de
Zoé comme une commode à tiroirs.
Le bâti, la structure, et le cadre en
serait la Françafrique, car au fond c’est bien
de cela qu’il s’agit, d’une certaine conception
des relations que nous entretenons avec
l’Afrique, déclinée à la sauce humanitaire
cette fois.
Dans ce meuble, il y aurait des tiroirs de
tailles inégales. D’abord celui de la crapulerie
« de bonne foi » d’un quarteron d’apprentis
sorciers humanitaires. Un autre, celui
d’une diplomatie en pleine tourmente, et
du comportement a priori hors de toute logique
françafricaine du président tchadien.
Un troisième tiroir resterait désespérément
vide. Seulement traversé par nos médias
incapables d’identifier et d’analyser les enjeux
en cours, préférant une simple relation
d’événements cueillis « brut de pomme ».
De l’émotion et du sensationnel, c’est le seul
désir des journaux télé et radios, espaces où
la réflexion est un non-sens. Commercial.
Et puis tout en bas, il reste un tiroir encore.
Ce dernier n’a pas beaucoup été ouvert ces
derniers temps, pas assez en tout cas : en
effet le rôle même des trois journalistes impliqués
dans l’expédition, mérite largement
un détour. Car, en soi, il concentre tous les
éléments constitutifs d’une vision collective
profondément raciste de l’Afrique.
Un photographe et deux journalistes reporters
d’images (JRI) se retrouvent ainsi embarqués
par hasard dans le même bateau.
Laissons le photographe de côté pour nous
intéresser aux deux reporters TV. L’un,
Marc Garmirian est en mission authentique
pour l’agence Capa, le plus gros fabricant
de reportages « clés en main » français.
L’autre, Marie-Agnès Pelleran travaille à
France 3 Marseille. Son statut est légèrement
différent, puisque Mme Pelleran ne participe
pas à l’opération pour le compte de
sa chaîne, mais par volonté personnelle. Elle
est d’ailleurs en congé humanitaire de solidarité
(extension poisseuse du congé sans
solde). Pour l’occasion, France 3 lui a tout
de même confié une petite caméra. Après
tout, il ne faut rien jeter. Mais, répétons-le,
elle est d’abord une militante de l’Arche.
Fort heureusement pour elle, cette espèce
de mission divine d’information qui investit
le journaliste à tout instant de sa vie, aura
vite permis de retourner la situation en sa faveur.
Ainsi sur place, Mme Pelleran était-elle
encore une journaliste, même en congé. Sa
carte de presse lui vaut alors d’être exonérée
d’un engagement que les autres, les roturiers,
devront eux payer…. ne déclare-t-elle
pas être partie avec l’Arche avec « d’abord
l’intention de faire un reportage » ? Mais
alors pourquoi prendre un congé ? Ce corporatisme
est d’autant plus écoeurant qu’il
s’affranchit de toute réflexion sur le coeur
du sujet : comment des journalistes parfaitement
avertis de la finalité du projet, armés
intellectuellement pour mesurer l’ignominie
de l’affaire, ont pu aller jusqu’au bout de la
mission sans jamais remettre en cause leur
participation à l’affaire.
Il est clair que la présence Marc Garmirian
auprès des « archistes » a largement contribué
à leur crédibilité. Qu’une grosse société
comme Capa décide de faire un reportage
sur l’opération n’a-t-il pas servi de validation
à Éric Breteau et son équipe ? Imagineraiton
une télévision s’associer à une entreprise
criminelle. Non, bien sûr. Mais au nom de
cette « urgence » du Darfour brandie partout,
tout devient permis. Y compris un gros
coup de force. Bien entendu, à Capa, on ne
pouvait pas se douter de l’extrême amateurisme
de « l’ONG ». On était sur un terrain
doublement surprotégé : l’humanitaire et
toute la compassion afférente à ce simple
mot, et l’Afrique où, pour l’homme blanc,
tout est permis. Sur place, et c’est très clair
dans ses rushes (dans leur version diffusée,
on a soigneusement gommé toute présence
de Mme Pelleran de sorte que la confusion ne
puisse être faite, elle était journaliste), Marc
Garmirian semble découvrir l’ampleur de
l’escroquerie en cours. En ce sens, ses images
sont édifiantes. On y voit le comportement
de l’équipe se transformer au fil du
temps en un remake de « Ocean 13 », où les
bandits préparent, répètent et tentent de tout
prévoir de leur mauvais coup. La question
se pose alors de savoir si Marc Garmirian va
laisser l’opération se dérouler jusqu’au bout.
Tout le monde connaît la réponse : oui.
Après sa libération, il s’expliquera et considèrera
que son devoir de journaliste était de
ne « pas prendre parti », « juste d’observer
». Et de brandir dans un coup de gueule
sur un plateau télé une espèce « d’éthique »
de son métier. Mais de quelle éthique s’agitil
? Comment l’opinion l’aurait-il jugé s’il
s’était agi de meurtres ?
En réalité certainement se serait-il désolidarisé.
Mais le vol pur et simple de 103 enfants
ne méritait pas selon lui cette décision. En
France, avec des enfants blancs, il n’aurait
pris aucun risque. Oui… mais voilà. On est
au Tchad. Et au nom de cette mission sacrée
de l’homme blanc en Afrique, les lois n’ont
plus le même sens. L’urgence, telle qu’elle
est rapportée par nos médias en quête
d’émotion, autorise tout. Le discours d’Eric
Breteau était celui-ci : « De toute façon,
quoi que l’on dise, les enfants auront une
meilleure vie en France qu’ici ».
Ici, donc, chez les Noirs, la famille n’aurait
aucun sens ! Sait-il seulement, qu’au Soudan,
une mère porte son enfant neuf mois
dans on ventre, exactement comme chez
nous. Que la douleur physique est la même
quelle que soit la couleur, qu’il n’y a aucune
de culture affranchissant les parents d’un
lien profond avec leur enfant ? L’humanitaire
produit par ces gens est le moule négatif
des ventes d’armes, et autres barbouzeries
élyséennes : les Noirs ont besoin des
Blancs pour s’en sortir. Heureusement, la
France grouille de pseudos héros sortis tout
droit de Tintin au Congo.
Éthique journalistique ? Nécessaire achèvement
d’un reportage trash plutôt… Il n’y
a qu’une seule vérité : si l ‘opération avait
suivi son cours, des parents auraient cherché
leur enfant peut-être toute une vie. Et les
auraient pleurés. Et si un jour l’histoire leur
aurait été relatée, qu’aurait-il alors pensé de
ce journaliste qui au nom de l’éthique journalistique
avait laissé leur enfant se faire
enlever ? Que ce type est une ordure.
Bien sûr, Marc Garmirian n’a rien voulu
de tout cela, et sa bonne foi n’est pas en
cause. Cependant, la bonne foi n’exonère
pas de la complicité. On ne saurait trop
lui conseiller de (re)lire Albert Londres ou
André Gide pour comprendre ce qu’est le
vrai journalisme.
Quoi qu’il en soit, ce drame s’est passé en
Afrique. Et ses appréciations ont été guidées
par la vision hypocrite et pleine de raccourci
que les Français ont du continent. Contaminé
par le paternalisme dégoulinant de ces
ONG de bazar, incapable de saisir le sens
de ses actes, cette permissivité emballée
dans le cellophane du journalisme fut
d’abord un acte raciste.
Vincent Munié