L’arche de Zoé a fait couler des ruisseaux d’encre et de salive. Tout le monde en France
y est allé de son couplet sur ceux que, par un effet facile, on a appelé les zozos
et qu’on a qualifi és de naïfs. On s’est un peu étonné que ces naïfs aient pu être
transportés par l’armée française sur place, à quoi il a été répondu qu’elle le faisait
pour toutes les ONG – comme ça, gentiment, il n’y a qu’à demander. On n’est pas
plus serviable. L’armée française est encore plus naïve que les ONG naïves. On fond
d’attendrissement.
Mais personne ne s’est étonné que ces zozos de l’arche de Zoé, présentée comme une
petite association plus ou moins folklorique, aient pu disposer de moyens logistiques
considérables : une dizaine de 4X4 pour leurs allées et venues, petit avion pour les
transports des enfants vers Abéché, affrètement d’un Boeing avec son équipage pour
l’évacuation, équipement et matériel à volonté pour le séjour sur place, recrutement
de nombreux collaborateurs tchadiens. Tout cela n’a pas pu être fi nancé par les quelques
milliers d’euros demandés à chacune des cent familles désireuses d’accueillir un
« enfant du Darfour ».
Après le fiasco de l’opération, la ridicule évacuation à grand spectacle des journalistes
par Sarkozy, les déclarations intempestives du même sur son intention d’aller chercher
le reste de la troupe des zozos, la France a réussi l’exploit de faire l’unanimité de
l’opinion tchadienne et africaine contre elle. Puis le soufflé médiatique est retombé.
Le président de l’Arche de Zoé, du fond de sa prison au Tchad, s’est dit « lâché » par
tout le monde. Circulez, il n’y a plus rien à voir.
On a pu revenir aux choses sérieuses, à la guerre des Tchadiens entre eux, qui fait rage
à nouveau, à l’appui des avions français aux troupes de Déby, aux couacs de la mission
militaire européenne pour sécuriser les frontières du Tchad et de Centrafrique,
qui n’arrive pas à se mettre en place. Les Européens traînent les pieds à venir s’engluer
dans ce qui leur apparaît comme un problème néocolonial français de contrôle
de la région. Le volet guerrier court sans doute au même fi asco que le volet humanitaire,
pour les mêmes mauvaises raisons : chacun spécule sur les bénéfices politiques
à tirer de son intervention. L’Afrique et les Africains ne sont que la toile de fond des
manoeuvres et des rivalités des grandes puissances.
La morale, brandie par tous, a si peu de part dans l’action de chacun, qu’on annonce
cette semaine au Sénat français, lors du cinquième Forum du développement durable,
comme invité d’honneur, le grand spécialiste en développement qu’est Sassou Nguesso,
président du Congo Brazzaville. Ce serait bouffon si ce n’était pas aussi sinistre.
Le héros de l’enrichissement personnel, celui dont la famille alimente les histoires de
dépenses scandaleuses, celui qui a mis le Congo à feu et à sang et l’a plongé dans la
misère, va venir en France parler de développement.
Cette nouvelle n’a pas ému grand monde dans le milieu politico-médiatique des défenseurs
de l’humanité, trop occupés à faire la morale à la planète pour voir ce qui se
passe à Paris. Pourquoi agir sur ce qui est de notre ressort quand on peut discourir sur
tout ce qui est hors de notre portée ! Le président Nicolas Sarkozy, le ministre Jean-
Marie Bockel ont fait, cet été, de grandes déclarations sur l’exigence de démocratie et
de bonne gouvernance pour que la France entretienne des relations d’amitié avec les
chefs d’État. Si Sassou Nguesso offre l’exemple de ces qualités, on ne voit pas à qui
d’autre on pourrait bien les dénier.