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Des accords de dupes

Les Accords de partenariat économique (APE), actuellement en négociation et devant entrer en vigueur dès janvier 2008, imposent une modification profonde des relations commerciales entre l’Union européenne et les Pays Afrique Caraïbes Pacifique (ACP). À leur détriment.

(mis en ligne le 1er décembre 2007) - Sylvain Kwenkeu

Depuis 1975, les accords de
Lomé, puis de Cotonou, qui
régissent les relations commerciales
entre l’Union européenne et les
pays ACP reconnaissent le différentiel
de développement entre les deux
parties et donnent lieu à une différence
d’obligations. L’Europe est tenue
d’ouvrir son marché à l’ensemble des
pays ACP, sans que cela ne soit réciproque.
On parle alors d’accès préférentiel
 : un accès préférentiel qui n’a
cependant pas entraîné une vraie diversification
des exportations africaines
ni contribué à structurer de véritables
pôles commerciaux régionaux.

Depuis quelques années, la libéralisation
du commerce mondial a entraîné
une érosion progressive de ces « préférences
 », en opérant une baisse des tarifs
douaniers, tandis que dans le même
temps l’Union européenne établissait
des liens préférentiels avec d’autres
pays (Maroc, Tunisie, Afrique du Sud,
Chili, Mexique et pays du Mercosur).
C’est dans ce contexte de concurrence
mondiale accrue et de promotion du
libre-échange que l’union européenne
a décidé de revoir ses accords préférentiels
et qu’elle renégocie depuis 2002
de nouveaux accords commerciaux
avec les quatre blocs régionaux qui
composent les ACP en Afrique.

Une zone de libre-échange entre l’UE et les pays ACP

Les nouveaux accords de partenariat
économique (APE) prévoient la mise en
place de programmes de réductions de
tarifs douaniers, dans le but d’organser
une zone de libre échange entre l’UE
et les pays ACP, sans taxes ni quotas
sur la quasi-totalité du commerce entre
les régions. Ils instituent également un
principe de réciprocité, qui provoque
de fait une situation de concurrence déloyale
entre les parties.

La négociation de ces APE, davantage
subie que consentie par les pays ACP,
pose un certain nombre de questions.
Les écueils relevés par les ONG qui
s’opposent à ces APE sont nombreux.
Ils présentent, en effet, un risque élevé
de paupérisation des Africains dépendants
de l’agriculture (80% de la population
dans le Sahel) du fait de l’absence
de prix rémunérateurs. De plus, ils
n’aident pas les pays ACP à se défendre
face à d’autres concurrences, comme
celle de la Chine (importation de riz
à un prix souvent deux fois inférieur à
celui de la production locale). Autre
point litigieux : l’intégration économique
entre pays ACP d’une même zone
est insuffisante car la configuration de
ces zones régionales ne respecte pas
les regroupements traditionnels, fragilisant
du même coup la relative intégration
régionale. Enfin, les négociations
sont guidées par un agenda européen et
les pays ACP subissent des pressions
pour finaliser les négociations avant
le terme prévu à la fin de l’année (voir
encadré).

Bien que conscientes de la difficulté de
maintenir le régime préférentiel actuel,
les associations de la société civile
française et européenne qui dénoncent
ces APE demandent le maintien du
statu quo pendant au moins cinq ou six
ans, pour laisser le temps aux pays de
renforcer leur intégration régionale et
d’améliorer la rémunération de leurs
paysans.

Elles s’appuient sur l’accord de Cotonou
qui précise que la libéralisation
des échanges n’est pas obligatoire et
ne concerne que les pays qui s’y sentent
prêts (article 37.5). Pour les autres,
l’Union européenne doit fournir une
solution leur garantissant une situation
comparable à leur situation actuelle
(article 37.6 de l’Accord de Cotonou).
Notons qu’à ce jour, certains produits
sont déjà exclus du champ des APE
pour une période de transition de dix à
douze ans environ.

L’Accord de Cotonou donne également
la possibilité aux pays qui le souhaitent
de se retirer des négociations et de choisir
un autre régime compatible avec les
règles de l’OMC. Mais du fait de la crise
structurelle de cette organisation, le
recours à l’OMC n’apparaît pas comme
une vraie garantie. À quelques semaines
de la fin des négociations, l’UE n’avait
fait aucune proposition alternative et
demeurait intransigeante sur les délais
de négociation. Les pays ACP, quant
à eux, sont de plus en plus nombreux à
considérer la date du 31 décembre 2007
comme impossible à tenir.

Une faillite unanimement dénoncée

Les études d’évaluation d’impact des
APE ont unanimement conclu que les
accords commerciaux réciproques avec
l’Europe vont mener à la désindustrialisation,
aux pertes fiscales et de revenus,
à la perte d’emploi, à la fracture
sociale, à l’interruption des processus
d’intégration régionale et entraîner
des coûts d’ajustement importants en
Afrique. L’Union européenne pourra
toujours, par la suite, faire l’aumône
de quelques euros au titre de l’aide au
développement.

Sylvain Kwenkeu

Les manoeuvres de l’Union européenne

Dans la perspective du Sommet
européen de Lisbonne au mois de
décembre, une délégation d’ONG a
été reçue au ministère français de
l’économie pour s’informer de l’état
d’avancement du dossier APE et
sur le positionnement de la France
dans ces négociations. Il s’avère
que, contrairement aux informations
insistantes, rares sont les pays du
Sud concernés par les négociations
sur les APE qui adhèreraient aux APE
dans leur formulation actuelle.
Fait révélateur de l’état d’esprit et de
la fronde qui affectent les partenaires
du Sud, l’union européenne a annoncé
qu’elle accepte d’extraire des
domaines de négociation les queswtions
litigieuses dites de Singapour
(investissements, services, marchés
publics et facilitation du commerce)
et qu’elle limiterait les négociations
aux seuls biens. Pour le moment, l’UE
semble maintenir le principe en vertu
duquel, il serait mis fin aux dérogations
de l’OMC, le 1er janvier 2008.
Et avec la fin de ces dérogations, l’UE
pourrait augmenter massivement les
droits de douane.
Il s’agirait, vraisemblablement, d’une
stratégie de communication qui prévaudrait
jusqu’au 20 décembre, date
à laquelle le conseil des Affaires extérieures
de l’UE (GAERC) pourrait
annoncer, devant la difficulté d’aboutir,
qu’il se contenterait d’un accord
intérimaire portant sur une vingtaine
d’années. Accord intérimaire avec un
système douanier qui reconduirait
largement le système actuel. Pour
sauver la face, l’UE tenterait d’inclure
dans cet accord l’obligation de négocier,
dans le futur, des accords pour
les pays ACP bénéficiaires de ce
nouveau régime, sans autres indications
sur l’agenda des négociations,
leur portée, les composantes du nouveau
régime douanier ou encore les
modalités d’application.
Ainsi, et malgré les intenses campagnes
d’intoxication, tout semble indiquer que l’on s’achemine vers
la signature, en décembre prochain,
d’un accord intérimaire, limité aux
échanges portant sur les seuls biens
et qui s’appliquerait courant 2008.
Le Sommet de décembre à Lisbonne
devrait, toutefois, être le théâtre de
grandes manoeuvres avec probablement,
une nouvelle fois, des tentatives
de l’UE pour déstabiliser leurs
partenaires du Sud et provoquer un
éclatement des pays ACP. De telles
manoeuvres visant à exploiter le rapport
de force largement favorable à
l’UE. Elles permettraient surtout une
politique plus unilatérale de l’UE.
Sans gêneurs …

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 164 - Décembre 2007
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