Depuis 1992, le peuple maori de
Nouvelle-Zélande collecte les
reliques de ses ancêtres déposées
dans les musées occidentaux pour leur offrir
une sépulture. Le conseil municipal
de la ville de Rouen a décidé d’accéder à
sa demande et la tête maorie, conservée
depuis 1875 au muséum d’Histoire naturelle
de la ville, devait faire partie d’un
lot d’une douzaine d’autres collectées en
Europe et destinées à être rapatriées en
novembre en Nouvelle-Zélande. Le 23 octobre
la municipalité de Rouen a restitué
solennellement cette tête de guerrier lors
d’une cérémonie en présence de représentants
de la communauté maorie et de
l’ambassadeur néo-zélandais. C’est la
première, en France, à restituer une de ces
têtes tatouées, objets, au xixe siècle, d’un
honteux trafic pour satisfaire l’appétit des
collectionneurs européens. « Un geste
éthique », selon la Mairie.
Christine Albanel, ministre de la Culture a
obtenu le 24 octobre au nom de l’État devant
le tribunal administratif de Rouen la
suspension de la décision municipale. Elle
s’appuie sur le principe d’inaliénabilité du
patrimoine national. Le conservateur du
muséum d’Histoire naturelle de Rouen et
le conseil municipal revendiquent eux la
loi de 1994 sur la bioéthique, selon laquelle
le corps n’est pas un bien patrimonial.
Un tribunal devra donc se prononcer sur
le fond.
Selon Christine Albanel elle-même, la
France et ses musées redoutent un précédent
qui pourrait entraîner une foule de
restitutions de momies égyptiennes, incas,
squelettes et ossements divers, trophées
humains des expéditions coloniales. Le
musée du quai Branly possède une série de
ces têtes momifiées. On se souvient que la
restitution à l’Afrique du Sud du squelette
de la « Vénus hottentote », exhibé au musée
de l’Homme, avait demandé le vote d’une
loi en 2002, pour vaincre l’opposition de
certains conservateurs de musées. Philippe
Richert, sénateur UMP du Bas-Rhin, rapporteur
de cette loi, dénonce ce nouveau
blocage, qui, selon lui, nous ramène aux
moeurs des scientifiques du xixe siècle.
On traitait en effet les restes humains des
« sauvages » comme ceux des divers animaux
qu’on prélevait à titre de curiosités.
« On ne peut réviser éternellement l’histoire
» dit Yves Le Fur, directeur adjoint
du musée du quai Branly (cité par Vianney
Aubert : La tête maorie qui sème la
discorde, Le Figaro, 15 novembre 2007).
Qu’est-ce que cette restitution a à voir
avec une révision de l’histoire ? Peutêtre
fait-on allusion à la lumière fâcheuse
que la publicité de ces restitutions
jette sur des acquisitions qui n’avaient
pas demandé tant d’attirail
administratif, étant
le fait du vol, souvent
avec violence, au détriment
de populations
subjuguées. Un internaute
malicieux n’a
pas manqué d’ajouter
son grain de sel à cette
polémique : « Étonnant
!… un ministre
du gouvernement qui
s’oppose au retour d’un
étranger (ou du moins
ce qu’il en reste…) dans
son pays d’origine. »