Survie

Les fils dans la forêt

(mis en ligne le 1er février 2008) - Odile Tobner

Comment les rejetons
des présidents
camerounais et
centrafricains se vont
vu attribuer des permis
forestiers alors qu’ils sont
impliqués dans le scandale
de l’exploitation illégale des
ressources forestières.

Le 25 octobre 2007, l’ONG Pour la
paix et la bonne gouvernance
,
domiciliée à Bangui (RCA) et à
Yaoundé (Cameroun), envoie une note
urgente à Louis Michel, chargé du développement
et de l’humanitaire auprès de
la Commission européenne. On y expose
les conditions douteuses de l’attribution
des permis forestiers situés à Bayanga et
Salo dans la préfecture de la Sangha Mbaéré
(RCA). En effet, alors que la commission
d’attribution procède normalement
à l’étude des dossiers, le 12 octobre, « à
la surprise générale de la majorité des
membres de la Commission, un haut
responsable du ministère en charge des
forêts les informe que, par décision politique
de la présidence de la République,
ils doivent entériner le choix de la société
La centrafricaine des bois tropicaux
(LCBT) pour Bayanga et le choix de Société
d’exploitation forestière d’Afrique
centrale (SEFAC) pour Salo. »

Le dossier la LCBT n’avait pas été
jugé recevable par la commission faute
d’avoir fourni les documents nécessaires.
Cependant la commission s’incline devant
l’oukase. Pourquoi ? L’ONG donne
les explications suivantes : « A l’origine,
Ingénierie forestière du Cameroun,
qui appartient à un holding Financier,
la Société africaine d’investissement,
a créé dans un premier temps Ingénierie
forestière de Centrafrique avant de se
raviser et de changer de dénomination
pour prendre le nom de La centrafricaine
des bois tropicaux. La Société africaine
d’investissement et Ingénierie forestière
du Cameroun appartiennent à M. Franck
Biya,
(fils du président) . Les parts sociales
de LCBT sont partagées
entre Franck
Biya et Francis Bozizé
(fils de François) .
La société Ingénierie forestière du Cameroun
traîne un passé sulfureux. À la
demande de la Banque mondiale et de
l’Union européenne, un observateur indépendant
« Global Witness » a relevé
les multiples infractions forestières commises
au Cameroun par la société Ingénierie
forestière qui a préféré changer de
dénomination en RCA
 »

Sur les agissements de cette société au
Cameroun on ajoute : « La Banque mondiale
a fait des enquêtes où il apparaît que
les sommes dues par Ingénierie forestière
à l’État (taxes, impôts, etc.) s’élèvent à
plusieurs milliards de francs CFA. Ingénierie
forestière est en quasi faillite. […]
Le scandale des exploitations illégales et
la mauvaise gestion des ressources forestières
par Ingénierie forestière ont été
dénoncées par toutes les organisations
(Greenpeace, Fonds mondial pour la nature
de la Banque mondiale, du WWF,
de Global Witness, etc.) qui opèrent au
Cameroun. [… S’y ajoutent] le refus de
signer un quelconque plan d’aménagement
forestier avec l’Autorité en charge
de l’Environnement et [… ] la création
d’une société commerciale Forestry Inc.
basée au Delaware (États-Unis) pour
mieux frauder le fisc camerounais ».
Quant au permis de Salo attribué à la société
SEFAC ? « Derrière la SEFAC, il
y a une dame citoyenne de Côte d’Ivoire
qui est l’épouse du ministre d’État,
conseiller spécial à la présidence de la
RCA et autrefois également ministre dans
son pays d’origine. Sont également dans
la SEFAC des Asiatiques qui, à l’époque,
avaient soumissionné pour un permis forestier.

 » [1]

Le 16 décembre Alain Girma, ambassadeur
de France, représentant de la présidence
de l’Union européenne en République
centrafricaine et Jean-Claude Esmieu,
chef de la délégation de la Commission
européenne en République centrafricaine
ont adressé une lettre à son président,
François Bozizé. Après les compliments
d’usage, notamment l’assertion passablement
présomptueuse que le secteur forestier
« a été jusqu’ici administré de façon
exemplaire
 », les excellences assènent :
« Cependant, les partenaires au développement
de la république centrafricaine
ont récemment appris que les permis n°
188 et 189 avaient été attribués par décrets
présidentiels n° 07311 et n° 07312
du 2 novembre dernier respectivement à
la LCBT et la SEFAC.
Or, il apparaît clairement, selon des informations
concordantes et fiables, que
les entreprises attributaires ne répondent
pas aux standards internationaux de bonne
gouvernance en matière d’exploitation
et de commercialisation du bois, notamment
au regard des critères de la Banque
mondiale.
 » [2]

Cette conversion à la vertu, venant des
« partenaires au développement », est
probablement due au fait que, derrière
les attributaires proches des pouvoirs,
l’exploitation sera pratiquée par des
Asiatiques. Le style de gestion de Franck
Biya, dans l’exploitation de la forêt camerounaise,
qui a conduit sa société à
la déconfiture, alors qu’il doit des sommes
considérables à l’État camerounais,
n’avait jusqu’à présent choqué personne
et ne l’avait nullement empêché de s’installer
tranquillement en France dans une
villa de milliardaire à Roquebrune-Cap
Martin.

Mais, sans doute, mieux vaut tard que jamais.

Odile Tobner

[1Lettre publiée dans le journal centrafricain

Le Confident

n° 1726 du 28 décembre 2007

[2Lettre reproduite sur le site centrafriquepresse.
com

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 166 - Février 2008
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