Cap ou pas Cap ? Des changements se profilent dans la politique française en Afrique, mais pas nécessairement ce que les adversaires de la Françafrique attendent. Pour déjouer les effets d’annonce, une analyse des discours et des rapports de force s’impose.
Bien malin qui a pu distinguer les prémices d’une nouvelle stratégie française en Afrique dans le discours du Cap, tant dans les propos présidentiels sur la promotion de la démocratie, le soutien à la société civile, la multilatéralisation et le redéploiement militaire, les formules convenues ou floues sont restées la règle. Pas vraiment de quoi esquisser une feuille de route.
De l’aveu de la diplomatie française, qui multiplie les efforts pour tenter de convaincre les ONG que « les choses ont changé », il est pourtant bien question de mettre en œuvre la rupture annoncée, comme l’illustre la création de tasks forces thématiques, associant Elysée et ministères. La première sera consacrée au redéploiement militaire, avec un calendrier de travail déjà établi qui n’inclut pas pour l’instant la question de l’avenir des bases militaires.
La « réussite » éventuelle d’un tel processus, si l’on accepte de mettre un instant de côté le scepticisme qui s’impose, dépend toutefois d’une série de facteurs sur lesquels nombre d’incertitudes sont bien loin d’être levées.
Le premier élément à analyser concerne l’articulation entre Elysée et les ministères concernés, à commencer par celui des Affaires étrangères. Sans revenir excessivement sur l’épisode Bockel, on a pu percevoir, depuis mai 2007, des divergences de points de vue au sein de la diplomatie et de l’exécutif. En particulier, au sujet de l’agenda et des déclarations présidentielles : visite à Libreville, contenu du discours de Dakar, allègements de certaines dettes (ex : Gabon), attitude à adopter face à Sassou, Kadhafi, etc....
Sans doute pour éviter la cacophonie et rappeler « qui est le patron » une clarification entre les différents niveaux de décision est peut être déjà à l’œuvre, à travers la dépolitisation de la fonction de secrétaire d’Etat à la coopération, laissée à un « gestionnaire », Alain Joyandet, dépourvu de vision politique sur le sujet et peu susceptible de contester les orientations de son président, dont il compte parmi les fidèles. Au niveau du secrétariat d’Etat aux droits de l’homme, pas grand-chose à attendre non plus. Passé l’agitation du mois de décembre dernier autour du cas Kadhafi, Rama Yade s’est totalement désengagée de toute question relative aux droits de l’Homme en Afrique, au point, dans un courrier récent au secours catholique, d’annoncer que les questions traitées dans le Livre Blanc de la Plateforme citoyenne France-Afrique ne relevaient pas de sa compétence mais de celle du secrétariat d’Etat à la coopération. Reste Bernard Kouchner, dont Libération se demandait en une de son édition du 26 mars à quoi il pouvait bien servir, question qui pourrait bien faire sourire si l’ancien « humanitaire » ne se montrait pas chaque jour davantage comme un défenseur acharné de la raison d’Etat, englué dans les pires compromissions diplomatiques, du Tchad au Tibet. Quant au ministère de Brice Hortefeux, volontiers marginalisé par ses collègues diplomates, mais pas par le Président, il demeure un mystère. Davantage que son poids économique (très relatif) c’est l’idéologie véhiculée par ce ministère et ce malgré son changement de nom récent (le « codéveloppement » est devenu le « développement solidaire », à la demande de certains chefs d’Etat africains) qui pèse sur l’ensemble de la politique française de coopération.
Dans ce paramétrage, il importe de mesurer le rôle de certains conseillers présidentiels, désignés dans le jargon diplomatique par les sigles « PR2 », « PR3 », « PR4 » (en fonction du niveau hiérarchique qu’ils représentent en dessous du Président, le PR en chef). Tout en se défendant de perpétuer la tradition de la « cellule africaine », certains conseillers apparaissent toujours comme des gardiens du temple au discours souvent marqué par les idées reçues du néocolonialisme. « Il n’y a pas de démocratie parfaite en Afrique », « la France a bien agi au Togo en 2005 », « nous n’avons personne pour remplacer Déby », affirmait ainsi Bruno Joubert à des associations reçues à l’Elysée à la veille du départ de Nicolas Sarkozy au Tchad et en Afrique du Sud. Côté sémantique, la rupture attendra... Mais ces discours sont parfois nuancés par d’autres diplomates ou conseillers ministériels, pas toujours en phase avec la ligne élyséenne, comme on l’a évoqué plus haut.
A écouter les conseillers ministériels on a toutefois l’impression qu’une nouvelle impulsion, à défaut d’une nouvelle orientation est en train d’être donnée à la politique française.
Parmi les grandes lignes de cette politique, qui à bien des égards ne fait que prolonger des pratiques précédentes, figure en particulier l’extension de la zone d’influence au monde anglophone et lusophone. Le rapprochement vers certaines démocraties qui ont impulsé un vrai processus de développement (le Botswana, cité en exemple par la diplomatie française) est en cours, sans doute pour dissimuler les travaux d’approche entrepris auprès de régimes plus contestés comme l’Angola et pour détourner l’attention du rôle de la France dans le maintien de dictatures dans d’autres pays.
Les voyages présidentiels au Cap et à Luanda (au mois de mai) ont clairement annoncé la couleur il est avant tout question de consolider des positions commerciales et d’en développer de nouvelles, en misant sur le développement à terme de classes moyennes dans un certain nombre de ces pays. Que la France s’intéresse aux producteurs de pétroles et aux acheteurs potentiels de centrales nucléaires ou de réseaux ferrés n’est pas bien sûr une nouveauté, c’est plutôt l’affirmation claire de ses intérêts commerciaux qui rompt un peu l’hypocrisie ambiante. Les Français ne seraient donc plus là uniquement parce qu’ils « aiment l’Afrique » ?
De tels aveux sont en revanche bien plus difficile à obtenir lorsqu’on aborde la chasse gardée francophone et il n’est pas rare d’entendre des conseillers diplomatiques affirmer que la France n’a rien à gagner au Tchad (sic), qu’elle n’est présente dans certains pays que pour contenir les menaces terroristes, l’islamisme soudanais ou faire rempart à la présence chinoise. Ceux qui craindraient un redéploiement trop brutal peuvent toutefois faire confiance à Bolloré, Bouygues, Areva et à l’Etat-major pour que la France ne se « désintéresse » pas aussi vite de leur terrain de jeu préféré...
Sur le terrain politique et en particulier au niveau parlementaire, la contestation du système est encore marginale et si une mission d’information sur les relations franco-africaines a bien été crée à l’automne, regroupant des députés de différents horizons, (voir Billets d’Afrique 163) celle-ci peine à mobiliser. La quasi-absence de questions sur l’intervention française au Tchad au Parlement, tend également à illustrer que le manque de contrôle est souvent le fait d’une intériorisation excessive par les parlementaires de la notion de « domaine réservé présidentiel ». Il est vrai que, de l’aveu d’un parlementaire membre de la majorité, les députés de l’UMP doivent demander l’autorisation à l’Elysée avant de poser une question sur un sujet « sensible ». Mais ce n’est jusqu’à preuve du contraire pas le cas de ceux de l’opposition... En acceptant de confier plus de rôle au Parlement en matière de politique étrangère, dans le cadre de la réforme institutionnelle préparée par la commission Balladur, le président prend-t-il réellement un risque, dans le fond ? Petit signal positif, tout de même, le dépôt à l’Assemblée à la fin du mois de mars d’une demande de création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’intervention française au Tchad, texte reprenant quasi intégralement les propositions d’associations, dont Survie. Emanant d’un groupe qui dépasse à peine le quorum des 20 députés (le groupe de la gauche démocratique et républicaine), cette demande a peu de chances d’aboutir, à l’instar du projet de commission d’enquête sur l’intervention française en Côte d’Ivoire, enterré par la majorité en février 2005, mais elle a au moins le mérite d’exister.
Du côté de la presse, si on peut constater que certains médias nationaux s’intéressent davantage à la politique de la France en Afrique, comme l’illustre l’écho rencontré par le Livre Blanc, la publication de quelques articles très critiques sur la position française au Tchad ou la diffusion de reportages sur les biens mal acquis à des heures de grande écoute, cela relève souvent davantage d’initiatives individuelles de journalistes que de nouvelles lignes éditoriales. Dans bon nombre de médias, la désinformation ou la « censure démocratique » selon l’expression d’Ignacio Ramonet (noyer l’information importante dans un torrent d’informations secondaires) restent trop souvent la règle.
Dans ce paramétrage complexe de rapports de force souvent défavorables à leurs revendications, les sociétés civiles de France et d’Afrique ont plus que jamais un rôle essentiel à jouer. Maintenir la pression, encore et toujours, prouver qu’il existe des alternatives et... ne pas se faire berner par les effets d’annonce et les ouvertures de dialogues opportunistes.
Pierre ROHMAN