Survie

L’homme africain et les Droits de l’homme

(mis en ligne le 1er avril 2008) - Odile Tobner

Du 24 au 28 février, plusieurs villes du Cameroun, notamment Douala et la capitale Yaoundé, ont été le théâtre d’émeutes généralisées, réprimées de façon brutale et sanglante, faisant au bas mot une centaine de morts, selon l’Association des chrétiens contre la torture (ACAT) à Douala. Un dirigeant associatif connu, Jacques Tiwa, a été froidement abattu. En France, il y a eu quelques articles dans la presse écrite et sur le net mais rien sur les grandes chaînes de la télé, aucun commentaire de la classe politique. Une manifestation des Camerounais de la diaspora à Paris a été ignorée des médias. Une déclaration de l’opposition en exil réclamant une commission d’enquête de l’ONU n’est relayée nulle part. Dès le 1er mars, silence total alors que la répression bat son plein : procès expéditifs, traque des meneurs supposés, matraquages des suspects. Aucun avertissement public n’est adressé au régime camerounais.

Le 14 mars, une manifestation d’une centaine de personnes tourne à l’émeute à Lhassa au Tibet. Les troubles s’étendent le 15 à la province du Sichuan. Le parlement des Tibétains en exil parle de 80 morts. Ces tristes événements font l’ouverture de tous les journaux télévisés pendant plusieurs jours. On montre les manifestants tibétains à Paris. On interviewe l’opposition en exil. Quinze jours après, on interroge encore tous les invités, politiques ou autres, de toutes les émissions télévisées, qui expriment leur indignation. Daniel Cohn Bendit se déchaîne sur France 2 : « Il y a des moments où on n’a pas le droit de se taire » Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères déclare : « La répression au Tibet n’est pas supportable ». Rama Yade, secrétaire d’Etat aux droits de l’homme, donne à nouveau de la voix « S’il y a bain de sang au Tibet, je ne vois pas ce que je vais faire dans un gradin à observer une manifestation sportive ». Alain Juppé se scandalise qu’on se soit contenté d’appeler la Chine à plus de retenue.

On constate que les droits des peuples opprimés partout dans le monde sauf en Afrique francophone sont vigoureusement défendus en France. Au Cameroun, on massacre tellement discrètement que la nouvelle n’en est pas parvenue à Alain Juppé. Le bain de sang camerounais a échappé à Rama Yade sinon elle aurait proposé des sanctions contre un régime despotique qui tue, après les avoir pillés, les habitants, des Africains, ses frères. Bernard Kouchner ignore ce qui s’est passé au Cameroun, autrement il ne l’aurait pas supporté. Quant au tonitruant Cohn Bendit sait-il seulement que l’Afrique existe ?

Cessons de croire à la mascarade des discours sur les Droits de l’homme tels qu’on les pilonne dans les médias. Il y a seulement des discours de propagande politique. La France au Cameroun, c’est pire que la Chine au Tibet : une puissance impériale qui soutient depuis un demi-siècle l’oppression d’un peuple de pauvres pour se gaver librement de ses ressources. Est-ce que, dans cette situation, l’idée des droits de l’homme peut même l’effl eurer ? Agacés qu’on puisse demander de faire cesser l’oppression en Afrique, les politologues disent : Les Africains n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Qu’ils se libèrent ! Mais qu’une dynamique d’émancipation voie vraiment le jour en Afrique, ou que l’impérialisme du colonisateur soit battu en brèche par d’autres puissances, on peut être sûr que les médias et les politiciens occidentaux découvriront tout à coup avec la plus vertueuse indignation que les droits de l’homme y sont bafoués. Le sang des victimes n’en fi nit pas de couler au Kivu dans l’indifférence générale. Pas de quoi émouvoir les coeurs sensibles des vedettes des médias et des politiciens. Pour nourrir la démence des tyranneaux locaux il n’y a que l’appétit anonyme et sans frein des acheteurs de minéraux précieux et celui, non moins intarissable des nébuleuses des fournisseurs d’armes. Derrière eux le monde pavé des milliards des paradis fi scaux et des trafi quants. Trop peu médiatique tout ça. Trop compliqué.

Odile Tobner

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 168 - Avril 2008
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