Survie

Vincent Bolloré, ange ou démon ?

de Nicolas Cori et Muriel Gremillet

(mis en ligne le 1er avril 2008) - Pierre Caminade

"Vincent Bolloré, ange ou démon ?"
de Nicolas Cori et Muriel Gremillet
(éditions Hugo doc, janvier 2008, 135 p., 12,50€)

Cet ouvrage est à lire absolument pour connaître l’une des transnationales en très bonne place sur le podium de la Françafrique. Trop bref pour entrer dans les détails, il constitue une mise à jour nécessaire. Cette page de Billets se veut être un guide de lecture, car l’ouvrage gagne à être complété par notre Dossier Noir n°15, Bolloré, monopoles Services compris... afin d’approfondir certains aspects scandaleux de la conquête sans vergogne des prébendes africaines , et la constitution d’un sorte d’agence de barbouzerie privée. En complément également, pour mieux comprendre le détail des raids boursiers, les arrangements avec les tribunaux de commerces et certains magistrats, les retournements d’avocats et d’actionnaires, il faut lire aussi Vincent Bolloré. Enquête sur un capitaliste au-dessus de tout soupçon, de Nathalie Raulin et Renaud Lecadre (Denoël 2000). Précisons que la biographie autorisée de Jean Bothorel, Vincent Bolloré, une histoire de famille, (Picollec 2007), ne présente pas plus d’intérêt qu’un article hagiographique sur Blaise Compaoré dans Direct soir.

Vincent Bolloré est atteint, plus que tout autre entrepreneur, d’une allergie à la concurrence. Le leitmotiv de ses projets industriels à long terme est d’assurer la chaîne complète d’un service, ce qu’il appelle le « multimodal intégré » : il l’applique dans le transport, les médias, voire l’influence politique...

Le transport des matières premières

Dans ce domaine, il est parvenu au « service de transport intégré, de bout en bout, de la sortie de l’usine jusqu’à la porte de l’utilisateur final » (V. Bolloré in JAE, 20/10/1997, p. 32). Dans ce secteur, la conquête n’a pas beaucoup progressé depuis les années 1990, le groupe s’est au contraire séparé de quelques branches. On notera toutefois la bataille épique, et perdue, contre le groupe Progosa, pour obtenir l’exploitation du port en eau profonde au Togo. Reprenons au passage cette citation du dialogue entre les chefs d’État français et togolais, en marge du sommet Europe-Afrique de Lisbonne, le 8 décembre dernier, retranscrite d’après témoignage par Le Canard enchaîné (6/02). Elle porte sur cette concession du port de Lomé : « vous en êtes où de ce projet ? », aurait demandé Sarkozy. Faure Eyadema : « les procédures sont en cours. » Sarkozy. « Bolloré est sur les rangs. Quand on est ami de la France, il faut penser aux entreprises françaises. »

Les médias

Dans les médias il assure le service « de la conception d’un message à sa réception par le public » (p. 112-113). Il contrôle à la fois la production de communiqué de presse (Associated Press), de sondage (CSA), la presse et les médias qui les commentent (ce à quoi à tendance à se réduire le journalisme politique), la création de publicité (Euro RSCG), la production (SFP, VCF), l’achat d’espaces publicitaires (MPG France, progression dans le concurrent Aegis), la presse et les médias qui les diffusent (Matin plus, Direct soir, Direct huit)... Via Aegis, il contrôle Carat, « dont les analyses sur les programmes audiovisuels sont largement reprises dans les rubriques médias » (d’après Rue 89) , et il siège (grâce à Euro-RSCG) au conseil d’administration de Médiamétrie qui contrôle l’audimat ! Bravo l’artiste qui, avec une finesse digne de Serge Dassault, étale sa conception de l’indépendance de la presse : « je suis un investisseur industriel. Je dois donc avoir le contrôle éditorial. » (p. 111)

Un réseau économico-politique

Nous pourrions ajouter dans le domaine économico-politique, l’influence dans la banque, l’assurance, la politique et la géopolitique. C’est par cette dernière application du « multimodal intégré » que tient, par dessus tout, le groupe multicarte Bolloré. Avec sa structure en cascade de holdings, Vincent Bolloré ne détient, grosso modo, qu’un million d’euro d’un capital d’un demi-milliard qu’il contrôle. Le reste vient d’actionnaires généralement mal rémunérés en dividendes ou valorisation. Mais Bolloré n’est pas forcément ingrat avec eux dans tous les domaines, puisque d’après un industriel (les sources se laissent rarement nommer quand elles s’expriment sur Bolloré) : « ceux qui mettent des sous dans les structures intermédiaires sont des couillons. Ils ne gagnent rien, mais Bolloré avec son entregent peut leur débloquer des problèmes administratifs. » (p. 50). Jetons donc un œil sur la liste de ces investisseurs désintéressés : des « partenaires traditionnels de la famille » (p.49), la banque Lazard, le Crédit lyonnais, la BNP, une branche du groupe Lagardère, « un groupe saoudien », AGF, Groupama, « une société contrôlée par la famille Agnelli »...

Il pourrait donc leur arriver d’avoir des « problèmes administratifs » à faire « débloquer » ?

Il n’y a que du beau monde dans l’entourage de Bolloré, ce qui fait sa force. Son pouvoir repose sur la confiance qu’inspire son réseau. Le coup du Paloma a frappé fort pour marquer le début du quinquennat présidentiel : « Nombreux sont les industriels que nous avons interrogés qui estiment que Bolloré est dorénavant “intouchable” pendant cinq ans. » (p. 6). Un symptôme du service médiatique « multimodal intégré » : le sondage informant les français que cette croisière de Nicolas Sarkozy ne les choque pas provient du CSA, détenu à 44 % par Bolloré. L’image est plus que jamais primordiale pour un groupe françafricain qui mue en magnat de la communication. « Personne n’investit dans la presse pour des questions de rentabilités, dit un patron. La presse, en France, c’est l’influence. » (p. 82)

On trouvera bien quelques lacunes dans ce livre, qui est plus une synthèse qu’une enquête gorgée d’éléments inédits : rien sur les incestes avec la magistrature, ni sur le recrutement d’agents secrets de premier rang (voir notre DN n°15). Mais pour le reste, le livre met le doigt où ça fait mal. Le goût pour les paradis fiscaux et judiciaires, et l’opacité financière, est clairement exposé. Constantin Associés effectuent l’audit des comptes de Bolloré depuis 1990, quand la règle est « de faire tourner les auditeurs tous les six ans pour qu’ils ne se retrouvent pas en conflit d’intérêt » (p. 95). Nous apprenons au passage qu’une filiale luxembourgeoise, qui apparait en effet dans les tableaux du rapport annuel 2006 du groupe, est dénommée Carlyle investissement. Pourquoi avoir choisi cette homonymie avec la société américaine qui mêle les intérêts de pétroliers texans, du complexe militaro-industriel, du clan Bush et de l’Arabie Saoudite... ?

L’achat à Firestone d’une exploitation d’hévéas (pour le caoutchouc) au Liberia dès la prise de pouvoir du sanguinaire Taylor est décryptée (p. 127-131) en exploitant un rapport onusien qui nous avait échappé (UNMIL : Human Rights in Liberia’s Rubbers plantations, 2006).

Le nom de Bolloré, contrôlant en toute discrétion l’exploitation via la société Intercultures, n’y était pas cité, et les auteurs décrivent comment leurs confrères journalistes se sont gardés de remonter au vrai propriétaire...

Pierre Caminade

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 168 - Avril 2008
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