Survie

Bemba, rattrapé par son passé

(mis en ligne le 1er juin 2008) - Stéphane Malhuret

La Cour pénale internationale a obtenu l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, président du Mouvement de libération du Congo (MLC), pour crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis en République centrafricaine en 2002 et 2003. Pourquoi a-t-il fallu cinq ans pour mettre fin à son entreprise criminelle ?

On aurait tort de ne lire dans cette arrestation, le 25 mai denier à Bruxelles, qu’un simple hoquet dans la marche chaotique de la justice internationale.
En effet, M. Bemba n’est pas n’importe qui : avec 42% des suffrages lors de l’élection présidentielle de 2006, il reste l’un des hommes politiques les plus influents de la République démocratique du Congo (RDC). En ce sens, et au regard des conséquences politiques possibles, il faut avant tout se réjouir de ce qui est une victoire de la Cour pénale internationale (CPI) : voir appliquer un de ses mandats par le pays même dans lequel l’accusé a trouvé refuge, et saluer l’obstination du procureur Luis Moreno Ocampo.
Mais l’action de la justice belge doit aussi être replacée dans un contexte particulier.
En effet, la reprise en main, ces derniers mois, du secteur minier de la RDC, par Joseph Kabila s’est soldée par une crise diplomatique entre les deux pays. Une crise qui a vu Kinshasa rappeler son ambassadeur à Bruxelles, réaction aux propos très néo-coloniaux du ministre des affaires étrangères Karel de Gucht, revendiquant un droit de regard sur la politique congolaise. De toute évidence, ce froid avec son ancienne colonie a semé le trouble à Bruxelles, l’élan souverainiste actuel de la RDC, s’inscrivant à l’instar d’autres pays du continent, dans une mise en concurrence des prétendants à l’extraction…
Kinshasa se comporte donc comme un pays affranchi de tout lien, renversant subtilement le rapport de force colonial. En ce sens l’action de la police belge peut aussi être interprétée comme un gage offert à Joseph Kabila, comme une tentative de rattraper la « bévue » de De Gucht. Ainsi, à la demande du président congolais, les policiers bruxellois se seraient empressés de l’arrêter, alors même que son départ de Belgique était imminent.
Ce faisant, Joseph Kabila se voit libéré de la menace continuelle que représentait Bemba et son mouvement, le MLC - ces derniers mois de nombreuses rumeurs de coup d’Etat parcouraient la RDC. Cependant, le MLC demeure un mouvement extrêmement populaire, en particulier dans la capitale ou plus de 70% des suffrages se portèrent sur M. Bemba en 2006. Il faut dire que cet homme d’affaire de 45 ans a les moyens de ces ambitions. Fils d’un millionnaire à la fortune acquise avec l’aide du Maréchal Mobutu, Jean Pierre Bemba n’a jamais lésiné sur son dispositif, électoral, mais surtout militaire, pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire le pouvoir. Toutefois sa quête ne s’est pas embarrassée de scrupules que ce soit en Ituri, durant la seconde guerre du Congo, dans sa province natale de l’Equateur (nord-ouest du Congo) ou dans divers micro-conflits régionaux, sa troupe de quelques milliers d’hommes a partout semé la terreur.

Cinq mois de terreur

Cette fois, c’est pour la brève présence du MLC en République centrafricaine (RCA) d’octobre 2002 à mars 2003, que Jean-Pierre Bemba se trouve accusé par la CPI de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. En l’occurrence, c’est plus de 1100 viols répertoriés, et de multiples assassinats qui figurent dans le dossier que Luis Moreno Ocampo instruit depuis mai 2007. Durant cinq mois, ses hommes ont semé la terreur à Bangui, et Bossangoa.
Replaçons-nous brièvement dans le contexte de l’époque en Centrafrique. Ange-Félix Patassé fait face depuis six ans à de multiples rebellions et défections. Or, il ne peut plus compter sur la présence française puisque, à l’occasion officielle d’une réorganisation du dispositif militaire, les deux bases historiques de Bouar et Bangui ont été fermées en 1998.
Ainsi, après avoir soutenu son régime lors des mutineries de 1996 avec les opérations Almandin 1 et 2, les soldats français ont quitté le territoire. En mai 2001, face au putsch raté de l’ex-président André Kolingba, M. Patassé ne peut guère compter que sur son bataillon présidentiel de 800 hommes pour le protéger. Il acceptera alors une aide militaire libyenne (agissant sous mandat de la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens/Comessa) mais se tournera également vers Jean-Pierre Bemba, cette fois à titre privé. Celui-ci lui enverra une centaine de ses rebelles. L’année suivante, le 25 octobre 2002, le général François Bozizé investit Bangui (ou plutôt ses 3000 hommes venus de N’djamena, lui-même étant hébergé en France) soutenus par Idriss Deby. Une nouvelle fois, Ange-Félix Patassé compte sur les 300 Libyens présents dans sa capitale. Devant l’ampleur des combats, il réitère son appel au MLC qui lui dépêche 1500 hommes depuis l’autre rive de l’Oubangui. Un apport décisif qui verra refluer la soldatesque de Bozizé et ses soutiens tchadiens vers le nord du pays. Dans les mois qui suivent, c’est une véritable campagne de terreur, sous l’œil indifférent du président Patassé, qui se met en place.
Les rebelles du MLC se livrent à de multiples exactions avec une constance pour les viols autour de Bangui, Bossangoa et Kaga Bandoro. Les crimes sont avérés et rien ne doit venir excuser les responsables de cette campagne de terreur. Surtout pas ce terrible constat de la répétition d’un scénario joué et rejoué par de nombreux seigneurs de guerre africains.

Le silence de la communauté internationale

Mais il est tout de même utile de se poser une question. Pourquoi a-t-il fallu cinq ans pour mettre fin à l’entreprise criminelle d’un homme que la communauté internationale jugea même apte à prendre les commandes du second plus vaste pays africain ? Car, c’est indiscutable, nous savions ce qui se déroulait, fin 2002, en République centrafricaine. Une fois de plus.
Et pour cause ! Dès la fin du mois d’octobre, afin de fournir un support logistique à la force d’interposition africaine (Fomuc), les soldats français étaient de retour à Bangui.
C’était le début de l’opération Boali, encore d’actualité en mai 2008. A l’époque, l’Elysée avait déjà misé sur François Bozizé, et le désordre constaté et rapporté par les observateurs à Bangui ne pouvait que servir la légitimité de l’ex-chef d’état-major, qui attendra le départ du MLC de Centrafrique en mars 2003, pour réinvestir, victorieusement cette fois, la capitale.
Jean-Pierre Bemba, grassement rétribué par Ange-Félix Patassé, allait pouvoir se vêtir d’une respectabilité nouvelle, dans son costume de vice-président du gouvernement de transition de la RDC. Ses victimes centrafricaines pouvaient toujours attendre réparation. C’est donc, avant tout, en leur nom, qu’il faut saluer ce fait d’arme de la CPI et en dépit de toute interprétation complexe, n’y relever que la marche courageuse d’une justice porteuse d’espoir pour le continent. Car d’autres tortionnaires y sévissent.

Stéphane Malhuret

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