Survie

L’arrogance et les lacunes du « mayottéroïte » Sarkozy

(mis en ligne le 1er février 2010) - Pierre Caminade

Nicolas Sarkozy s’est rendu à Mayotte le 18 janvier, pour se faire acclamer comme le président français ayant tenu la promesse de la départementalisation de l’île, le Graal pour les politiciens locaux depuis des décennies, qui sera applicable en 2011. Une visite express : moins de quatre heures, tout compris. Mais le peuple y est tellement plus reconnaissant qu’à Gandrange !

Les ingrédients de son discours : autosatisfaction, respect de rigueur des non-dits sur l’appartenance de Mayotte aux Comores selon l’ONU et expulsionnisme décomplexé. Sans oublier, bien sûr, les poncifs si délicieusement mensongers sur « Mayotte française », parmi lequel cette contre-vérité historique répétée mille fois : « Vous êtes Français, mes compatriotes de Mayotte, depuis 1841, c’est-àdire depuis plus longtemps que Nice ou que la Savoie. » [1] Le traité conclu en 1841 entre un officier français et l’escroc Andriatsouli (qui ne contrôlait pas du tout Mayotte, en plein conflit entre sultans), s’il attribuait l’île à la France, n’a pas reconnu le moindre statut français à ses indigènes. Ceux-ci le deviendront en même temps que tous les autres Comoriens de l’archipel, en 1946, avec la promulgation du statut de TOM.

Notre président serait bien en mal de brandir le moindre texte antérieur faisant Français les Mahorais.

Le triste bilan des visas Balladur

Mais le sujet d’actualité le plus lourd est bien celui du visa mis en application par la France début 1995. Jusque-là, la France laissait les Comoriens circuler librement entre Mayotte et les îles non occupées, pour ne pas ajouter de déplacements forcés de populations à la violation des frontières onusiennes. Depuis la création du visa, des centaines de personnes meurent chaque année en tentant de se rendre à Mayotte sur des embarcations de fortune. Ce que Sarkozy considère en badinant sur les chiffres : « Les filières qui organisent la traversée maritime des migrants clandestins sont directement responsables de plusieurs morts tous les ans. Ce sont des assassins, quatre naufrages en 2009. Et encore ne compte-t-on pas ceux qui ont disparu sans que personne ne les remarque. » Cette dernière phrase est une litote. Suit un inventaire de moyens policiers et militaires... Il n’a pourtant pas osé prononcer cette phrase du discours écrit : « Plus d’une centaine de vies ont été sauvées par les forces armées, les gendarmes et les policiers lors d’opérations de sauvetage en mer ! »

Expulsion de Comoriens à Mayotte

Cette énormité aurait fait figure d’étrange écho au rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) que Sarkozy a décidé de supprimer et qui analysait la façon dont la Police de l’air et des frontières (PAF) viole toutes les règles les plus élémentaires, ce qui a pour conséquence de faire chavirer les embarcations (Billets n°170). Qui sont les « assassins » ?

Ceux qui réussissent la traversée sont ensuite confrontés à une traque permanente et aux dénonciations par des employeurs qui ne veulent pas les payer. Sarkozy a son point de vue sur les contradictions des Mahorais, très avides de chasse à l’homme : « Qui n’a pas croisé à Mayotte un voisin que l’on savait reconduit vers les Comores quelques jours plus tôt ? Qui n’a pas donné un travail à un Comorien que l’on savait en situation irrégulière ? Il faut mettre fin, mes chers compatriotes, à une hypocrisie : 15 000 travailleurs à Mayotte sont des clandestins. On ne peut pas, d’un côté, vouloir de l’emploi pour la jeunesse mahoraise, se plaindre des problèmes engendrés par l’immigration irrégulière et, de l’autre côté en tirer avantage. » C’est une façon comme une autre de comprendre l’intérêt de rendre ces travailleurs « clandestins » par le visa. Et le président de promettre ce que demande le peuple : « Le nouveau Centre de rétention administrative [CRA] sera construit à Mayotte. » [2]. C’est aussi une forme de réponse à la CNDS, qui dénonçait entre autres un CRA indigne d’une République.

Soumission comorienne

L’État comorien, quant à lui, dispose d’un moyen simple de s’opposer, au moins, au visa : il peut refuser d’accueillir ses citoyens explusés par la France. Ce serait légitime puisque ceux-ci ne franchissent aucune frontière, en droit international, en allant à Mayotte. Cette mesure est parfois prise de façon momentanée, comme lorsque la France accordait refuge au dictateur Bacar chassé d’Anjouan par une opération militaire de l’UA (Billets d’Afrique n°168).

La France a eu avec les Comores des négociations pour mettre en place des dispositifs du même type que ceux conclus avec des pays du continent africain : aides contre expulsions facilitées. Le cadre des négociations était le GTHN (Groupe de travail de haut niveau), mais ses travaux ont été suspendus par le président Sambi à cause de la consultation sur la départementalisation de Mayotte. Tant mieux, mais le courage du président comorien est limité, même s’il a eu l’audace de proposer à l’assemblée générale de l’Onu une administration franco-comorienne de Mayotte, selon le principe « un pays, deux systèmes ». Sa couardise a d’ailleurs eu droit à un hommage assassin du nouveau préfet de Mayotte, Hubert Derache : « Il arrive régulièrement que les Comores refusent de laisser revenir leurs ressortissants, cette année, nous avons eu de la chance » (Le Figaro, 18 janvier). Résultat, Sarkozy exulte : « 20 000 étrangers en situation irrégulière ont été éloignés [de Mayotte] en 2009 ! ».

Pierre Caminade

[2Le discours écrit était moins afirmatif, cf. www.mayotte.pref.gouv.fr/depot/Discours%20du%20PR-1.pdf

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 188 - Février 2010
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