Survie

kwassa Kwassa 

(mis en ligne le 1er juin 2008) - Pierre Caminade

Dans la nuit du 3 au 4 décembre 2007, un kwassa-kwassa transportant environ 40 personnes a chaviré au cours de son « interpellation » par une vedette de la police aux frontières (PAF) de Mayotte. Un rapport d’enquête éloquent met en cause les fonctionnaires de la PAF.

Cela fait plus de dix ans que des soupçons de pratiques criminelles de la PAF circulent aux Comores. Est-il d’usage pour les vedettes françaises d’approcher dangereusement des embarcations clandestines de migrants pour les faire chavirer ?
Pour la première fois, suite à la mobilisation de la Cimade de Mayotte, elle-même interpellée par la Coordination pour la concorde, la convivialité et la paix (CCCP), et du député Daniel Goldberg, qui préside le Groupe d’amitié France-Union des Comores, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a été saisie le 6 décembre par Etienne Pinte, député, et le 7 décembre par la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat. Son rapport a été adopté le 14 avril 2008. « La commission a entendu douze des rescapés du naufrage, des représentants [d’associations]. Elle a procédé aux auditions des quatre membres de l’équipage de la vedette de la [PAF] impliquée dans la collision, de l’adjudant-chef de la gendarmerie qui a participé aux secours des naufragés, du directeur et du directeur adjoint de la [PAF], du chef de centre à l’époque des faits, ainsi que du directeur de cabinet du préfet de Mayotte. »

Sur le naufrage

Le chef de bord de la PAF précise : « Nous voulions, comme toujours, aborder l’embarcation qui transportait des clandestins en nous positionnant en parallèle par tribord arrière.
J’ai soudain constaté la présence d’une masse noire sur notre bâbord avant, sous nous. J’ai ordonné au barreur - et il l’avait déjà fait en réflexe -, de mettre en marche arrière toute, mais la collision a eu lieu tout de suite. [...] les passagers du kwassa-kwassa, dont certains dormaient, sont projetés à la mer. Peu d’entre eux savent nager ».

Avec ses termes diplomatiques, la CNDS dresse des constats cruels pour la PAF : « La Commission s’interroge sur cependant sur les circonstances de la collision alors que [...] le kwassa-kwassa, surchargé et propulsé par un moteur de 15 chevaux, était peu manœuvrant, ce qui aurait dû permettre d’éviter une collision. La commission s’interroge sur la maîtrise d’une vedette équipée de deux moteurs de 350 chevaux chacun, qui aurait pu avoir une réactivité immédiate en cas d’un éventuel changement de cap du bateau poursuivi. »
Comme souvent dans ce genre de rapports, la conclusion doit revenir sur l’audace du contenu : « Sans se prononcer sur les causes du naufrage », mais tout de même : « la commission demande qu’il soit impérativement mis fin, conformément à la réglementation internationale en vigueur, à la pratique de la navigation en dérive feux éteints lors des opérations de recherche en mer des clandestins. »
Moins d’un mois après la remise de ce rapport, le 19 mai, Mouammar Kadhafi accusait les Européens de causer la mort de clandestins en Méditerranée avec ces termes : « Ils prétendent parfois porter secours à un bateau mais ils le font chavirer pour que les immigrants à bord meurent. Ils disent : “Nous avons essayé de les secourir” et sauvent un ou deux immigrés pour donner la preuve de leurs intentions humanitaires. » Sans donner crédit à ses propos, ce serait-il inspiré de ce rapport ?

Sur le Centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi

« La commission estime que le centre de rétention administrative de Mayotte est indigne de la République. [...] Les conditions de vie [...] y portent gravement atteinte à la dignité des mineurs retenus ». Ce constat s’impose après la description d’un fonctionnement que l’on attribuerait calomnieusement à un chenil, tant pour la surpopulation, les conditions d’hygiène, les deux repas quotidiens au lieu des trois règlementaires, servi sur des plateaux collectifs sans assiettes ni couverts, en même quantité quel que soit le nombre de bouches à nourrir. Et les justifications administratives semblent revendiquer un régime d’indigénat : « La commission déclare irrecevables les raisons relatives à de supposées traditions ancestrales, invoquées par les autorités, pour justifier l’absence de lits ou de couverts, à la disposition des personnes retenues ».
Le chef du centre indique que la capacité d’accueil théorique de 60 places « est très régulièrement dépassée pour atteindre 80 à 90 personnes. Ce nombre peut s’élever jusqu’à 200, voire exceptionnellement 220 personnes ». Donc le triplement n’est pas exceptionnel ! Il précise : « Si les capacités d’accueil du CRA ne permettent pas de recevoir de nombreux interpellés, nous demandons à la gendarmerie ou à la police de les garder dans leurs locaux. »

Sur les expulsions express

C’est alors qu’intervient l’inventivité de nos képis afin d’éviter le quadruplement des capacités du CRA, tout en dépassant les objectifs chiffrés d’expulsions de notre République de l’identité nationale : « C’est dans ce contexte que de nombreuses personnes sont contrôlées, leur vérification d’identité est effectuée alors qu’elles sont maintenues dans des fourgons à proximité des locaux de police ou de gendarmerie, puis directement éloignées vers Anjouan. Il arrive que des Mahorais de nationalité française soient expulsés dans le même mouvement ». Ça leur apprendra à militer pour l’expulsion des étrangers.
Comme le souligne le directeur de la PAF, « le mineur qui fait l’objet d’une expulsion est rattaché à un majeur qui l’a accompagné dans l’embarcation. Il est quasiment impossible d’établir un lien de parenté ; dans ce cas, il est rattaché à un majeur qui l’accompagne, avec l’accord de ce dernier.” [...] Cette situation, contraire à la réglementation française et internationale, porte gravement atteinte à l’intérêt supérieur des enfants. [...] elle concerne un grand nombre d’enfants ». On comprend mieux la clémence de Nicolas Sarkozy pour les « zozos » de l’Arche de Noé : la parenté, pour les Noirs, c’est sans doute différent...
Il ne reste plus aux autorités que de plaider que Mayotte, au fond, ce n’est pas tout à fait la France, ce que l’ONU affirme depuis 1975...

Pierre Caminade

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 170 - Juin 2008
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