Survie

A fleur de presse

Robert Bourgi : « On ne gouverne pas le monde avec des idéaux »

France-Afrique confessions d’un homme de l’ombre, Jean-Baptiste Naudet Le Nouvel Observateur n° 2269 du 1er au 7 mai 2008

(mis en ligne le 1er juin 2008) - Odile Tobner

L’hebdomadaire dit « de gauche » ouvre complaisamment ses colonnes à Robert Bourgi, conseiller Afrique de Sarkozy : « la démocratie en Afrique, Me Bourgi n’y croit pas. Cynisme ? « Réalisme, rétorque-t-il. On ne gouverne pas le monde avec des idéaux. » Sur le continent noir, « tout se construit autour de la structure des sociétés africaines, tribale et clanique ». Les élections libres ? « Vous avez vu comment cela tourne ? Aux massacres interethniques. Aujourd’hui le Kenya, demain peut-être le Zimbabwe », […] « avec les opposants, s’ils arrivent au pouvoir, ce sera la même chose », assure-t-il. […] La corruption des dirigeants ? Là encore, pour Robert Bourgi, c’est une question de culture : « En Afrique, le chef, le papa, le grand-père, le grand frère, l’aîné, doit entretenir beaucoup de monde, explique l’africaniste. Il faut beaucoup d’argent. Un salaire de 3 millions de CFA mensuels [celui d’un chef d’Etat] n’y suffit pas. Vous me comprenez ? » […] l’intermédiaire s’occupe aussi des petites affaires de la « famille », celles qui empoisonnent la vie. Un « cousin », un « frère » en détresse financière qui a besoin d’une rallonge car il n’arrive plus à entretenir son « deuxième bureau » (sa maîtresse). « C’est très important, s’enflamme l’avocat. En Afrique, avoir un deuxième bureau, voire un troisième ou un quatrième, c’est une question de prestige. Ne plus pouvoir les entretenir, c’est le déshonneur ! » […] [Sarkozy lui a dit] : « Tu parles pour que les gens sachent ce qu’est l’Afrique. » […] Mais il voudrait que l’on sache qui il est vraiment, que l’on admette enfin qu’il n’a fait que son devoir et que, bien que travaillant avec l’Afrique, il n’est pas si « noir » que cela. »

Cet article est un chef-d’œuvre de propagande raciste insidieuse. On donne la parole tout naturellement au porteur des messages les plus banalement reçus dans le public français – et les plus scandaleux – sans souligner le moins du monde ce qu’ils ont de raciste, ce qui revient à les conforter pour le lecteur de base qui doit « savoir ce qu’est l’Afrique ». Cela se résume à l’impossibilité de la démocratie, puisque tout est ethnique – on ne craint pas le contresens puisque les émeutes du Kenya sont dues non à des élections libres, mais au fait qu’elles ont été truquées – ; au procès a priori de toute opposition, qui est disqualifiée – procès d’intention valable pour toute élection, dans tout pays – ; au caractère inéluctable de la corruption, justifiée par le plus gros des sophismes. En effet si le « papa » doit « en Afrique » « entretenir beaucoup de monde », il s’agit forcément de tous les papas, qui devraient donc tous disposer de « millions » pour satisfaire aux coutumes africaines. De même « en Afrique » ne pas avoir de quoi entretenir des maîtresses, c’est le « déshonneur ». C’est affirmer que la quasi totalité de la population, qui vit avec moins d’un dollar par jour, vit forcément dans le déshonneur. Ces grosses stupidités sont accréditées comme venant d’un « africaniste ». Tout cela pour faire passer le « réalisme » de la politique africaine de la France, euphémisme pour la reconduction de la domination par la prévarication sur laquelle cette politique repose, pour la sauvegarde des intérêts français.

Odile Tobner

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 170 - Juin 2008
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
a lire aussi