Comment l’association de l’amitié franco-burkinabé présidée par l’ancien « monsieur Afrique » de François Mitterrand, Guy Penne, se démène pour donner un visage respectable à Blaise Compaoré.
En 1997, la campagne internationale justice pour Sankara (CIJS), entamait au nom de sa veuve, Mariam Sankara, et de ses enfants, une procédure judiciaire devant les instances juridiques du Burkina Faso avant d’être déboutée. Le CIJS décidait alors en octobre 2002 de saisir le comité des droits de l’homme de l’ONU.
En avril 2006, après avoir étudié les mémorandums des parties en présence, ce comité publiait une longue déclaration demandant à l’Etat burkinabé d’assurer « un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, et une indemnisation (...). La famille de Thomas Sankara a le droit de connaître les circonstances de sa mort, et le Comité rappelle que toute plainte contre des actes prohibés par l’article 7 du Pacte doit faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes. »
Une déclaration restée sans réponse : le certificat de décès a bien été rectifié mais par le simple retrait de la mention de "mort naturelle" sans qu’aucune précision n’ait été donnée sur les circonstances de sa mort, aucune enquête n’ayant été diligentée. Une indemnité a bien été proposée mais la famille l’a rejetée considérant qu’elle se substituait à la justice.
En avril dernier, le comité change d’avis et publie un communiqué dans lequel il « considère le recours de l’Etat partie comme satisfaisant aux fins du suivi de ses constatations et n’a pas l’intention d’examiner cette question plus en avant au titre de la procédure de suivi. » Pourquoi ce dédit deux ans plus tard ? Il apparaît que certains membres du comité ont été mal informés de l’indemnité proposée puisque certains experts avaient rajouté un zéro de plus (434 millions FCFA au lieu de 43 millions FCFA). Par ailleurs, un précédent communiqué du comité des droits de l’homme de l’ONU faisait état d’une condamnation à mort de Thomas Sankara ce qui montre une ignorance totale du dossier de la part de certains experts.
"J’ai le sentiment qu’on m’a utilisé pour assassiner Thomas Sankara"
Ce retournement de position n’est pas un acte anodin. Il s’inscrit dans une vaste offensive visant à réhabiliter Blaise Compaoré. Le Burkina et son président sont, en effet, désormais considérés comme négociateurs principaux dans les conflits de la région. La publication de ce communiqué, la veille de la visite au Burkina du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon n’était pas non plus fortuite.
Par ailleurs, le Burkina, devenu en janvier 2008 membre non permanent du conseil de sécurité de l’ONU, participe activement aux opérations de maintien de la paix. Mieux, en mai, il était élu membre de ce fameux comité des droits de l’homme de l’ONU.
Cette succession de décisions complaisantes en faveur du Burkina de Blaise Compoaré, malgré ses antécédents de trafiquant de diamants et d’armes en Angola au profit de l’UNITA, dénoncé en son temps par un rapport de l’ONU, puis fauteur de guerre au Libéria et en Sierra Leone et plus récemment en Côte d’Ivoire, ne doit rien au hasard. En 2006 déjà, le soutien des réseaux françafricains s’était manifesté par la création d’une association des amitiés franco-burkinabé dont le président, Guy Penne, n’est autre que l’ancien « monsieur Afrique » de François Mitterrand. L’association compte également quelques héritiers des réseaux Foccart comme Jacques Godefrain et Michel Roussin, mais aussi Pierre-André Wiltzer, alors haut représentant pour la sécurité et la prévention des conflits avant de devenir directeur de la caisse française de développement. Guy Penne vient d’ailleurs d’être publiquement accusé par François Hauter, à l’époque journaliste au Figaro, de l’avoir manipulé en lui présentant opportunément un responsable des services secrets français détenteurs de « tuyaux » sur les horreurs supposées de la révolution sankariste. Deux semaines après, Thomas Sankara, qu’il a incendié dans son journal, ainsi que dans une bonne partie de la presse française jusqu’à Télérama, est assassiné. Quelle ne fut pas la colère du journaliste qui a tout de suite compris pourquoi on avait mis tant de zèle à lui donner des infos si difficiles à obtenir d’ordinaire !
C’est aussi au cours d’une réunion de cette éminente association qu’avait été lancée l’idée de faire de Blaise Compaoré un Nobel de la Paix (Billets d’Afrique n°159, juin 2007). C’est également dans l’intention de ripoliner moralement le beau Blaise que son communicant agréé, Jean Guion, prépare l’organisation du premier « sommet des étoiles de la terre » à Ouagadougou, du 28 au 30 novembre prochain. Un grand concert gratuit et un sommet réunissant un parterre de vedettes internationales et des « experts » pour dire au peuple (le grand absent de ce sommet) comment il faut faire pour sauver la terre.
Mais cette tentative de réhabilitation ne s’arrête pas au seul Compaoré si on considère la récente attribution de la légion d’honneur au colonel Gilbert Diendéré, l’homme des basses oeuvres et chef du commando assassin de Thomas Sankara.
A vouloir trop en faire, on suscite des réactions sans doute inattendues. Ainsi, on apprenait récemment que Blaise Compaoré devait recevoir à Florence, en juin, le prix Galileo pour « laa médiation dans les conflits ethniques et sociaux », un prix prestigieux, financé par la présidence de la république italienne, dans le jury duquel on remarque la présence de Jack Lang. Quelques jours auparavant pourtant, une manifestation d’étudiants à Ouagadougou était sauvagement réprimée. La réaction de la société civile italienne semble avoir créé un certain embarras puisque le directeur du jury a déclaré que, finalement, le prix ne serait pas attribué à Blaise Compaoré, trop occupé pour assister à la cérémonie. Cette réaction risque bien de faire des émules dans d’autres pays.
Bernard Farguet