Survie

Les huit plaies d’Alain Joyandet

(mis en ligne le 1er juillet 2008) - Alexandra Phaëton, Odile Tobner

La France n’a pas fini de se déconsidérer après les propositions de son secrétaire d’Etat à la coopération, Alain Joyandet. Entre portes ouvertes enfoncées et réaffirmation d’une politique calamiteuse pour l’Afrique, c’est un vrai programme de recolonisation qu’il a avancé.

Il est certain que si Nicolas Sarkozy avait voulu faire une grande politique africaine, il n’aurait pas choisi Alain Joyandet, dont le niveau intellectuel et politique peut se mesurer à la réplique suivante : « J’ai créé ma première boîte à 24 ans, sans un rond, c’était bien plus compliqué de faire cela que de s’occuper de l’Afrique » (Libération, 24 juin 2008). Sa première « boîte », fondée en 1981 – il a alors 27 ans – est un journal, La presse de Vesoul, après qu’il a fait ses premières armes à La Presse de Gray, ayant dû renoncer à des études de médecine. On se méfiera donc du « diagnostic » qu’il dit avoir retiré de trois mois de voyages en Afrique. Qu’on en juge ! Premier constat : « L’Afrique est entrée de plain-pied dans la mondialisation. » On est heureux de l’apprendre. Quel malheur en effet si elle ne l’avait pas fait « de plain pied » !

Tout est à peu près de la même farine par la suite. Entre « regarder en face ce continent » et « prendre un virage déterminant », Joyandet expose ses huit chantiers, reposant sur deux piliers lesquels s’enfoncent dans l’insondable marécage des plans sur la comète.

 Premier chantier : créer des entreprises en Afrique. C’est, en effet, élémentaire. On s’étonne qu’il ait fallu attendre 2008 pour y penser. Encore faut-il un environnement favorable, des infrastructures, une administration compétente et intègre. Tout cela manque cruellement malgré cinquante ans de coopération française.
 Deuxième chantier : développer l’agriculture vivrière. Eh oui ! Les gens ont besoin de manger d’abord, avant d’aller travailler dans les plantations de cacao, de café et de thé. Là aussi on s’étonne non seulement que personne n’y ait pensé auparavant mais que tous les « décideurs » se soient acharnés à préconiser le contraire. On reprend les mêmes pour faire l’inverse ?
 Troisième chantier : les femmes, élément essentiel de la population comme chacun sait. Joyandet a une idée de génie. Il va nommer « une personnalité de haut niveau pour s’occuper de la cause des femmes. »
Les Africaines, qui résolvent chaque jour le problème angoissant de la survie de leur famille, sauront enfin s’y prendre mieux.
 Quatrième chantier : C’est celui-ci, qui « tient particulièrement à cœur » à Joyandet, qui est « le plus abouti », ce qui a de quoi inquiéter. Et, en effet, c’est le plus nul. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’envoyer des masses de volontaires français en Afrique, jeunes ou retraités. Mais pour faire quoi ? Ils apporteront les uns leur enthousiasme, les autres leur expérience, denrées qui manquent apparemment sur place. Voilà revenu le temps des « jolies colonies de vacances » avec les « coopérants » qui ont coulé les pays africains après les indépendances. De fait, les despotes qui comptaient sur eux pour exécuter docilement leur politique, aberrante pour la population, ont pu sévir contre les cadres autochtones persécutés et contraints à l’exil. Aujourd’hui encore les grands groupes français en Afrique n’emploient pas de cadres indigènes, qui pourraient avoir des vues plus favorables au développement local.
 Cinquième chantier : Il consistera à travailler avec les ONG. C’est dire si ce sera le chantier fourre-tout. L’Afrique est déjà le terrain idéal pour les ONG de tout poil et de tout gabarit. On va multiplier les « arches de Zoé. »
 Sixième chantier : Il prévoit de développer l’enseignement du français, particulièrement dans les pays non francophones. Dans les pays francophones, il faudrait développer la librairie et l’édition et ça c’est trop difficile.
 Septième chantier : Il consistera à faire cadeau à l’Afrique de RFI et de TV5, avec des flots de paroles et d’images. La propagande, il n’y a que cela de vrai. Cela ne coûte pas grand-chose et cela peut rapporter gros.
 Huitième chantier, enfin. Il verra les militaires français développer les armées africaines.

On est sidéré par ces « propositions », un vrai programme de recolonisation, entre enfoncement de portes ouvertes et recommencement de tout ce qui a conduit à la situation actuelle, catastrophe pour l’Afrique, déconsidération pour la France. On va envoyer en Afrique des entrepreneurs français, des agriculteurs français, des enseignants français, des militaires français, qui vont enfin se rendre utiles en apprenant aux africains, ces attardés mentaux, à s’organiser, à cultiver, à lire, à manier le fusil, tout ça en français.

Par contre pas l’ombre d’un chantier pour mettre en œuvre et sauvegarder la démocratie. Rien de prévu pour soutenir les défenseurs des droits de l’homme qui se heurtent à la répression. Pas de programme pour faire venir les étudiants africains dans nos secteurs de pointe, laboratoires et universités. Toutes ces mesures risqueraient d’en faire des pays dynamiques et donc des rivaux, alors qu’il faut simplement faire croire qu’ils ne peuvent pas se passer de nous, puisque nous on ne peut pas se passer d’eux et qu’  »il ne faut pas qu’on se laisse prendre notre place » (Libération, 24 juin 2008).

Odile Tobner

Alain Joyandet enfile les perles

Sa conception de la coopération française ?
« Je le dis tranquillement, notre politique de coopération, c’est évidemment l’influence de la France. » (conférence de presse, 19 juin 08). « Il faut renforcer l’influence de la France, ses parts de marché, ses entreprises. Ne pas avoir peur de dire aux Africains qu’on veut les aider, mais qu’on veut aussi que cela nous rapporte. » « Je n’ai pas envie que la France fasse tout ce qui coûte et rien de ce qui rapporte. » (Libération 24 juin 08)
Et les droits de l’Homme ? « Je porte le message d’une France attachée à la démocratie et à la transparence. Mais est-ce que cela doit être notre seule préoccupation ? Il ne faut pas faire de ces valeurs notre seule expression. » « J’ai des convictions mais je veux aussi défendre notre pays et ses parts de marché. »
En réponse à une question d’un journaliste du Temps sur la visite à Bongo : « Pas de caricature, nous devons tenir compte des parts de marché à défendre. » (conférence de presse 19 juin 08) Un néo-colonialisme lancinant : « Plus de capitaux pour les entreprises, plus d’intervenants sur place, plus de formation et plus d’influence française. J’ose le mot, plus d’influence française. » (France 24, 22 juin 08)
Même militaire ?
« Le travail exemplaire qui est fait par nos militaires en Afrique qui consiste à former les individus d’ailleurs pas uniquement les former à faire la guerre mais les former pour avoir des armes pour affronter la vie et le développement économique. » (RFI 20 juin08) En conclusion : « L’Afrique semble réclamer plus de France. » (conférence de presse 19 juin 08) avec des accents gaulliens sans la stature : « Vive l’Afrique, j’aime l’Afrique. » (RFI, 20 juin 08).

Alexandra Phaëton

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 171 - Juillet-Août 2008
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