Le système agronomique du Nord de l’Europe, devenu dominant sur une bonne partie de la planète, est à l’origine d’une catastrophe écologique mondiale.
C’est le point de vue qu’expose Matthieu Calame, agronome, dans “La Tourmente alimentaire, pour une politique agricole mondiale” (éditions Charles Léopold Mayer, avril 2008).
Notre système agraire, né il y a plus de 10 000 ans, repose sur la culture de céréales associée à l’élevage ; il s’est étendu au détriment de la forêt, sans cesse défrichée.
Après une période où la polyculture-élevage maintenait un équilibre (alternance de cultures annuelles et de cultures fourragères pluriannuelles, fertilisation des sols par le fumier des animaux), on arrive vers 1950 à une “régression agronomique d’une ampleur sans précédent” : la monoculture de cultures annuelles devient dominante, à grands renforts d’azote chimique (les nitrates) pour compenser l’abandon de l’azote naturel (fumier, légumineuses fixant l’azote de l’air). Or, les nitrates stimulent la croissance des plantes mais aussi favorisent les bactéries à la source de la minéralisation. Minéralisation et disparition des sols sont d’autant plus rapides et catastrophiques dans les régions chaudes.
Le processus est largement à l’œuvre en Inde (à la faveur de la “révolution verte”), en Australie, en Espagne… Pour inverser la tendance, Matthieu Calame propose d’explorer davantage les voies de l’agroforesterie qui ont été en vigueur sur les bords de la Méditerranée (oliviers et autres arbres fruitiers associés aux cultures annuelles et à l’élevage) et qui le sont encore ou à nouveau dans nombre de pays du tiers monde (Sud-Est asiatique, Afrique des grands lacs…)
Il propose également de protéger ou reconstituer la forêt des bassins hydrographiques pour préserver la ressource hydrique ; et de préserver les marécages que sont les rizières. Le tout pour conserver la matière organique et “concilier équilibres biologiques et population dense”.
Les causes de la famine, poursuit Matthieu Calame, sont multiples mais le combat contre elle repose avant tout sur un “cercle vertueux” dans lequel se rejoignent les différents facteurs du développement et surtout la volonté politique de développer l’agriculture.
A l’exemple de la Politique agricole commune de l’UE, il est possible de construire une agriculture solide sur la base de prix internes élevés et de mécanismes favorisant les petits et moyens paysans. Mais il faut aujourd’hui repenser les échanges mondiaux, dans le cadre de l’OMC, afin d’imaginer “un marché construit” et des échanges équitables.
Matthieu Calame avance par ailleurs une proposition originale celle d’une “monnaie biologique”, qui pourrait être basée sur le carbone, l’énergie disponible et autres ressources biologiques.
Philippe Cazal