Survie

Le rapport Mucyo et les médias français

(mis en ligne le 6 septembre 2008) - Victor Sègre

Sans être aussi caricaturale
que le déni des autorités
françaises, la réception
du rapport rwandais par la
presse hexagonale reste très
décevante.

Torpeur estivale aidant, les journaux
télévisés, mais aussi les hebdomadaires,
ont opté pour le black-out
presque complet. La plupart des radios et
des journaux ont seulement rendu compte,
avec plus ou moins de détails, des accusations
résumées par le ministère de la Justice
rwandais et des réactions officielles
françaises. On peut regretter que certains
d’entre eux n’aient pas procédé ultérieurement
à l’examen critique du rapport
de la commission d’enquête lui-même.
Dans Libération, Thomas Hofnung, qui
ne l’avait manifestement pas lu non plus,
croit bon d’ajouter des lieux communs
erronés (« il n’y avait plus de soldats
français en 1994
 ») et un titre de nature
à susciter l’incrédulité du lecteur, faute
d’explication sérieuse : « De Mitterrand à
Villepin, tous coupables
 ». Certains journalistes
ont néanmoins mené un travail
d’analyse, mais souvent décevant. Passons
sur le cas de Marianne2.fr qui, fidèle à sa
ligne éditoriale, juge le rapport « vraiment
pas sérieux
 » (12 août) [1] et laisse à Pierre
Péan le soin de le commenter (8 août). Le
site du Nouvel Observateur se contente
pour sa part d’interviewer Jean Hatzfeld,
lequel avance, sans avoir lu le document,
que les accusations de meurtres portées
contre les militaires français « sont absurdes
 », et qu’en ce qui concerne les politiques,
« on peut être responsable mais pas
coupable
 ».

Certes le rapport Mucyo est loin d’être
parfait et ne saurait être à l’abri de critiques.
Mais, dans la plupart de ces articles,
il est uniquement appréhendé sous l’angle
des relations diplomatiques franco-rwandaises.
Seulement réduit à cette dimension,
il est analysé plus ou moins explicitement
comme le simple produit d’une
instrumentalisation politique. Pour Philippe
Bernard (Le Monde, 6 août), le travail
uniquement à charge de la commission
« chargée de rassembler les preuves montrant
l’implication de l’État français dans
le génocide
 » (selon son mandat officiel)
attesterait du « peu de place laissé aux
vérités complexes
 ». La présentation des
faits par les membres de la commission, « juristes et historiens choisis par le pouvoir »
serait « tantôt distanciée, tantôt outrancière
et teintée d’idéologie
 », et « certains épisodes
déjà connus
 » feraient « l’objet d’une
présentation biaisée
 » selon Laurent d’Ersu
(La Croix, 6 août). Il en veut pour preuve la
version de l’assassinat des coopérants Alain
Didot et René Maier. Cet épisode, loin d’être
« déjà connu », a pourtant donné lieu a de
multiples récits contradictoires, y compris
côté français... [2]

Philippe Bernard et Laurent d’Ersu mettent
par ailleurs l’accent sur des témoignages jugés
par tous les deux « invérifiables », « parfois
un peu trop militants pour être crédibles
 »
(Laurent d’Ersu) ou « sujets à manipulation »
(Philippe Bernard), en particulier quand ils
émanent des ex-génocidaires. Le doute est
évidemment légitime, mais pourquoi s’interdire
par avance un travail de vérification ?
« Les interrogatoires de détenus, lorsqu’ils
sont menés par des chercheurs ou des journalistes
expérimentés, restent une source irremplaçable
d’information
 », estime pour sa
part le journaliste Jean-François Dupaquier
dans une tribune publié dans Le Monde (« Un
rapport rwandais à prendre au sérieux
 »,
11 août). Il rappelle également les qualités
des universitaires membres de la commission
et considère que leur travail justifie
l’ouverture d’une commission d’enquête
française. « Cette lutte de deux décennies
entre la France et Paul Kagamé n’est toutefois
pas une raison pour rejeter le rapport
de la Commission rwandaise, ou présumer
que les témoins cités, survivants du génocide
ou ex-compagnons d’armes des soldats
français, mentent
 », juge également Rémy
Ourdan, toujours dans Le Monde (6 août).
Au nom du « devoir de vérité » dû « envers
les victimes et les survivants
 », il estime que
« Paris ne peut pas rejeter ces récits sans enquêter
en profondeur et sans répondre point
par point à chacune des centaines d’accusations.

 » Et ce d’autant plus que « les mises en
cause
[des témoins] sont circonstanciées et
précises, elles se recoupent parfois, ne peuvent
être ignorées
 », selon Patrick de Saint-
Exupéry dans une autre tribune publiée dans
Libération (13 août).

En outre, le travail de la commission ne s’appuie
pas uniquement, loin de là, sur des témoignages
qui par ailleurs ne sont pas tous
rwandais. Fruit de « dix-huit mois d’enquête
minutieuse
 » (Catherine Ninin, RFI, 6 août)
il « repose largement sur des travaux - non
contestés - qui l’ont précédé », ainsi que sur
« des documents inédits » (Bakchich.info,
14 août), et confirme de nombreux faits
« pour la plupart connus de longue date »
(Rue 89, 6 août), pour ne citer que très brièvement
les quelques rares journalistes qui ont
également jugé ce rapport digne d’intérêt.

Victor Sègre

[1Sur la base d’un document qui constitue
manifestement un faux grossier (dont il serait
intéressant de connaître l’origine) pourtant retenu
par les rapporteurs, et qui sert de prétexte à
Bénédicte Charles pour occulter tous les autres
éléments.

[2Les différentes hypothèses sont rappelées par
Jacques Morel dans « L’assassinat des gendarmes
Didot et Maïer, et de l’épouse de Didot »,
La Nuit Rwandaise n°2, avril 2008.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 172 - Septembre 2008
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