Sans être aussi caricaturale que le déni des autorités françaises, la réception du rapport rwandais par la presse hexagonale reste très décevante.
Torpeur estivale aidant, les journaux télévisés, mais aussi les hebdomadaires, ont opté pour le black-out presque complet. La plupart des radios et des journaux ont seulement rendu compte, avec plus ou moins de détails, des accusations résumées par le ministère de la Justice rwandais et des réactions officielles françaises. On peut regretter que certains d’entre eux n’aient pas procédé ultérieurement à l’examen critique du rapport de la commission d’enquête lui-même. Dans Libération, Thomas Hofnung, qui ne l’avait manifestement pas lu non plus, croit bon d’ajouter des lieux communs erronés (« il n’y avait plus de soldats français en 1994 ») et un titre de nature à susciter l’incrédulité du lecteur, faute d’explication sérieuse : « De Mitterrand à Villepin, tous coupables ». Certains journalistes ont néanmoins mené un travail d’analyse, mais souvent décevant. Passons sur le cas de Marianne2.fr qui, fidèle à sa ligne éditoriale, juge le rapport « vraiment pas sérieux » (12 août) [1] et laisse à Pierre Péan le soin de le commenter (8 août). Le site du Nouvel Observateur se contente pour sa part d’interviewer Jean Hatzfeld, lequel avance, sans avoir lu le document, que les accusations de meurtres portées contre les militaires français « sont absurdes », et qu’en ce qui concerne les politiques, « on peut être responsable mais pas coupable ».
Certes le rapport Mucyo est loin d’être parfait et ne saurait être à l’abri de critiques. Mais, dans la plupart de ces articles, il est uniquement appréhendé sous l’angle des relations diplomatiques franco-rwandaises. Seulement réduit à cette dimension, il est analysé plus ou moins explicitement comme le simple produit d’une instrumentalisation politique. Pour Philippe Bernard (Le Monde, 6 août), le travail uniquement à charge de la commission « chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide » (selon son mandat officiel) attesterait du « peu de place laissé aux vérités complexes ». La présentation des faits par les membres de la commission, « juristes et historiens choisis par le pouvoir » serait « tantôt distanciée, tantôt outrancière et teintée d’idéologie », et « certains épisodes déjà connus » feraient « l’objet d’une présentation biaisée » selon Laurent d’Ersu (La Croix, 6 août). Il en veut pour preuve la version de l’assassinat des coopérants Alain Didot et René Maier. Cet épisode, loin d’être « déjà connu », a pourtant donné lieu a de multiples récits contradictoires, y compris côté français... [2]
Philippe Bernard et Laurent d’Ersu mettent par ailleurs l’accent sur des témoignages jugés par tous les deux « invérifiables », « parfois un peu trop militants pour être crédibles » (Laurent d’Ersu) ou « sujets à manipulation » (Philippe Bernard), en particulier quand ils émanent des ex-génocidaires. Le doute est évidemment légitime, mais pourquoi s’interdire par avance un travail de vérification ? « Les interrogatoires de détenus, lorsqu’ils sont menés par des chercheurs ou des journalistes expérimentés, restent une source irremplaçable d’information », estime pour sa part le journaliste Jean-François Dupaquier dans une tribune publié dans Le Monde (« Un rapport rwandais à prendre au sérieux », 11 août). Il rappelle également les qualités des universitaires membres de la commission et considère que leur travail justifie l’ouverture d’une commission d’enquête française. « Cette lutte de deux décennies entre la France et Paul Kagamé n’est toutefois pas une raison pour rejeter le rapport de la Commission rwandaise, ou présumer que les témoins cités, survivants du génocide ou ex-compagnons d’armes des soldats français, mentent », juge également Rémy Ourdan, toujours dans Le Monde (6 août). Au nom du « devoir de vérité » dû « envers les victimes et les survivants », il estime que « Paris ne peut pas rejeter ces récits sans enquêter en profondeur et sans répondre point par point à chacune des centaines d’accusations. » Et ce d’autant plus que « les mises en cause [des témoins] sont circonstanciées et précises, elles se recoupent parfois, ne peuvent être ignorées », selon Patrick de Saint- Exupéry dans une autre tribune publiée dans Libération (13 août).
En outre, le travail de la commission ne s’appuie pas uniquement, loin de là, sur des témoignages qui par ailleurs ne sont pas tous rwandais. Fruit de « dix-huit mois d’enquête minutieuse » (Catherine Ninin, RFI, 6 août) il « repose largement sur des travaux - non contestés - qui l’ont précédé », ainsi que sur « des documents inédits » (Bakchich.info, 14 août), et confirme de nombreux faits « pour la plupart connus de longue date » (Rue 89, 6 août), pour ne citer que très brièvement les quelques rares journalistes qui ont également jugé ce rapport digne d’intérêt.
Victor Sègre
[1] Sur la base d’un document qui constitue manifestement un faux grossier (dont il serait intéressant de connaître l’origine) pourtant retenu par les rapporteurs, et qui sert de prétexte à Bénédicte Charles pour occulter tous les autres éléments.
[2] Les différentes hypothèses sont rappelées par Jacques Morel dans « L’assassinat des gendarmes Didot et Maïer, et de l’épouse de Didot », La Nuit Rwandaise n°2, avril 2008.