La situation politique au Cameroun intéresse peu la communauté internationale. Le pays est pourtant à un tournant historique après la crise politique de l’hiver dernier. Pour la rue camerounaise, le pire reste à venir.
Tout commence par un discours du président camerounais, Paul Biya, le 31 décembre 2007 dans lequel il fait part de son souhait de réformer la Constitution de 1996 afin de lever l’amendement de l’article 6-2, qui prévoit que « le président de la République est élu pour un mandat de sept ans renouvelable une fois ». La nation camerounaise est prévenue : Paul Biya veut rester au pouvoir et il s’en donnera les moyens. Les Camerounais sont pourtant fatigués de sa présidence qui dure depuis 1982 : absence de développement économique et social, paupérisation croissante de la population, corruption généralisée dans tous les secteurs de l’Etat et absence de véritable démocratie. Sur la scène internationale et en France en particulier, le président camerounais est toutefois perçu comme le « garant de la stabilité » du pays.
Pour ne pas nuire à cette image idyllique, les autorités camerounaises décident d’interdire, le 18 janvier 2008, les manifestations prévues par l’opposition contre le projet de réforme constitutionnelle. Le 23 février, un meeting de l’opposition, à Douala, est annulé par les organisateurs en raison de la présence massive de policiers. L’assistance est dispersée par la force occasionnant des affrontements violents (deux morts, plusieurs centaines de blessés). Echaudée par l’interdiction de manifester et profitant de la grève lancée par les transporteurs routiers, le 25 février, contre la montée des prix du carburant, la jeunesse camerounaise investit les rues des principales villes de l’ouest du pays pour exprimer son ras-le-bol. Rapidement, plusieurs villes s’embrasent, y compris la capitale politique, Yaoundé. Les enseignes commerciales françaises seront les premières cibles. Les autorités répondent par une répression sanglante (tirs à balles réelles, arrestations massives). Le bilan est lourd : une centaine de morts selon l’ACAT-Littoral (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), quarante selon les autorités camerounaises. Plusieurs centaines de personnes sont également arrêtées. Des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes sont intimidés (tabassage, brève arrestation, menaces). Plusieurs médias (Equinoxe TV et radio Magic FM), qui diffusent des images de la répression ou qui permettent aux auditeurs de s’exprimer librement sur la situation dans le pays, sont fermés manu militari par la police. Mis en garde, les autres médias audiovisuels éviteront par la suite tout sujet qui fâche. Le 29 février, la situation se stabilise. A grand renfort de soldats puissamment armés, les villes à risque sont de nouveau sous contrôle. Pour la plupart des médias internationaux, il s’agira davantage d’émeutes de la faim, résultat de la crise alimentaire mondiale plutôt qu’une crise politique.
Le 10 avril 2008, les députés de l’assemblée nationale – dominée par le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) [1] – adopte, à la majorité absolue, la révision constitutionnelle par un vote public (les noms des députés ayant participé au scrutin et la nature de leur vote sont connus et proclamés). Cinq articles de la Constitution, concernant le président de la République, sont remaniés, dont un concernant la levée de la limitation des mandats (art. 6-2) et un autre concernant l’immunité du chef de l’Etat (art. 53-3). Paul Biya, âgé de 75 ans, pourra donc se présenter aux élections de 2011 et, si un jour il quitte le pouvoir, il ne pourra être poursuivi en justice. Dans la foulée, les députés reçoivent quelques cadeaux : leur crédit automobile est désormais une prime non remboursable, les salaires du personnel de l’assemblée nationale sont revalorisés, et enfin l’assemblée Nationale aura un nouveau siège avec un bureau pour chaque député.
Aujourd’hui, le Cameroun est à un tournant historique. Le pays, en crise, a besoin d’une réforme profonde de ses structures politiques, économiques et sociales. Le gouvernement en place a trois ans pour améliorer les conditions de vie de ses concitoyens avant la tenue de l’élection présidentielle de 2011[O B A1]. L’opposition observe et compte bien faire barrage au candidat Paul Biya, qui vraisemblablement se présentera une énième fois à la présidence. La préparation et la tenue de ce scrutin auront donc une importance primordiale quant au devenir du pays. Car même si le Cameroun reste apparement l’un des pays les plus « stables » d’Afrique centrale, le pays pourrait basculer dans les violences post-électorales, comme au Kenya ou au Zimbabwe, en cas d’élections non transparentes et non démocratiques qui verraient le clan Biya reconduit au pouvoir. La communauté internationale a donc, dès maintenant, tout intérêt à travailler d’arrache-pied avec les autorités camerounaises pour que les élections en 2011 soient irréprochables sur tous les plans. A l’heure actuelle, le sentiment général qui prime au sein de la jeunesse camerounaise est que « le pire est à venir ».
Par Clément Boursin,
chargé de mission Afrique à l’ACAT [2]
{{{Une répression aveugle}}}
Le bilan définitif des violences de fin février 2008 ne sera jamais établi faute d’enquête. Face au silence des autorités camerounaises sur cette question, seule une enquête internationale aurait pu établir la vérité. Malheureusement, la communauté internationale a, elle aussi, préféré rester slencieuse sur le sujet. La surpopulation des prisons et les conditions (torture, assassinats) de maintien de l’ordre sont dénoncées régulièrement par la FIDH (2001, 2003). Avec la vague de condamnations arbitraires à la suite de la répression des manifestations de février dernier, les conditions de détention sont démentielles (4000 prisonniers pour 800 places). La répression d’une révolte à la prison de Douala a fait 17 morts parmi les prisonniers, le 29 juin, un incendie, le 20 août, vient d’y faire 9 morts.