Alors que se préparent les commémorations des quinze ans du génocide des Tutsi rwandais en avril 2009, nous rappellons la complicité de la France dans cette tragédie. Ce mois-ci, la contribution de Jean-François Dupaquier, président de l´association Memorial international
A la veille de la quinzième célébration du génocide des Tutsi et du massacre politique des démocrates hutu au Rwanda, il peut sembler paradoxal qu´on s´interroge encore sur ce que les autorités françaises savaient du projet génocidaire avant sa mise en oeuvre, et le cas échéant, depuis quand. La question paraîtrait incongrue dans les pays anglo-saxons où une importante production éditoriale, très documentée, sur « les responsabilités de la France » fait considérer le débat comme clos. En France même, face à une opinion publique taraudée par le doute, la Mission d´information sur les opérations militaires menées par la France, d´autres pays et l´ONU au Rwanda entre 1990 et 1994, dite mission parlementaire Quilès, a tenté de refermer la plaie. Après avoir obtenu communication de nombreuses archives (mais pas toutes) et entendu les principaux témoins français de la crise (loin d´avoir tous dit la vérité), les députés ont produit un rapport qui fait clairement apparaître que l´intervention « militaro-humanitaire » française à partir d´octobre 1990 a été accompagnée de mises en garde précises.
Dès le 10 octobre, le colonel René Galinié, attaché de Défense à l´ambassade de France à Kigali, écrit : « Il est à craindre que ce conflit finisse par dégénérer en guerre ethnique ». Le 24 octobre 1990, il appréhende « l´élimination physique à l´intérieur du pays des Tutsis – 500 000 à 700 000 personnes –, par les Hutus, 7 millions d´individus (...) » (page 134 du rapport). Une prescience remarquable. Georges Martres, ambassadeur de France au Rwanda (de 1989 à 1991), écrit de son côté le 15 octobre 1990 : « La population rwandaise d´origine tutsi (...) compte encore sur une victoire militaire (...). Cette victoire militaire, même partielle lui permettrait d´échapper au génocide ». Le 17 décembre suivant, l´ambassadeur indique encore : « La radicalisation du conflit ethnique ne peut que s´accentuer (...) ».
Inutile de multiplier les citations. Même Hubert Védrine reconnaîtra devant la mission qu´on pouvait « se demander si la France (...) avait été bien inspirée de s´engager à ce point (...) et estimer maladroite une politique aussi interventionniste » (page 190). Une appréciation que l´ancien bras droit de François Mitterrand semble avoir, depuis lors, oubliée, voire balayée...
« La France a accepté elle-même de se laisser piéger », écrit la mission au détour de la même page, même si Paul Quilès a fait rédiger in fine des conclusions nuancées.
Depuis 1998, de nouvelles sources d´archives ont confirmé que les autorités françaises ont été constamment informées de la tentation du régime Habyarimana d´apporter une solution « finale » au « problème tutsi ». De son côté, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a documenté, notamment au fil des audiences du procès fleuve « Bagosora et al », l´existence d´une conspiration pour l´extermination des Tutsi qui a pris sa source en décembre 1990 et s´est poursuivie ensuite, mois après mois. Si malgré plusieurs témoignages majeurs de « repentis » les juges d´Arusha n´ont pas estimé suffisants ces éléments pour retenir l´implication « d´entente en vue de commettre le génocide » dans le verdict de première instance, on le doit à un « petit détail » auquel les diplomates français n´ont pas été étrangers lors de la rédaction de la résolution 955 du Conseil de sécurité instituant le TPIR : le mandat du Tribunal pénal international ne lui permet pas de retenir des faits incriminants antérieurs au 1er janvier 1994. Comme par hasard, il s´agit de la datebutoir où les militaires français devaient – en principe – tous avoir quitté le Rwanda en vertu des accords d´Arusha !
Pourquoi, aujourd´hui, faut-il rappeler des vérités – hier élémentaires et aujourd´hui insidieusement occultées – sur la responsabilité des autorités françaises dans le soutien aveugle, constant, et hélas terriblement efficace, à un régime de type nazi qui s´est servi du « parapluie » militaire français pour peaufiner l´organisation du génocide de 1994 ? Tout simplement parce qu´une guerre médiatique, elle-même initiée par des gendarmes, des officiers de différents services, des officines, des cabinets noirs, se poursuit depuis 1990 pour masquer à l´opinion publique française – à elle seule – les responsabilités d´un tout petit groupe d´hommes autour de François Mitterrand et d´une coterie de gradés tout aussi irresponsables, rejouant au Rwanda un scénario d´intervention coloniale.
Comme le rapport Quilès le relate, c´est dès le mois d´octobre 1990 que des diplomates et militaires français décident de relever le défi d´une « guerre médiatique » contre le FPR. Cette « guerre de l´ombre », où des Français combattent en première ligne, est particulièrement documentée lors de l´opération Amarylis puis de l´opération Turquoise. Elle sera finalement relancé à l´aube du XXIe siècle avec le retentissant blog du colonel Hoggard et son livre « Les Larmes de l´honneur » qui inaugurent un cycle particulièrement actif de colloques au public plutôt louches, d´ouvrages de commande plutôt racistes et de mobilisation de réseaux médiatiques plus ou moins stipendiés.
Les animateurs de ces cabinets noirs n´ont rien appris, ni rien oublié : au moment de l´affaire Dreyfus, l´état-major français n´avait pas agi autrement, avançant que l´honneur de l´armée, élevé au rang du sacré, justifiait toutes les manipulations, y compris la condamnation d´un innocent. Mais comme dans les années 1890, ce n´est pas de l´honneur de l´armée française qu´il s´agit au Rwanda, simplement de l´OPA d´une poignée d´officiers prêts à toutes les désinformations pour dissimuler soit des stratégies personnelles, soit des erreurs, des connivences, voire des complicités avec les architectes du génocide.
Le fait d´une petite douzaine d´hommes, à comparer aux 3 000 à 4 000 militaires étant intervenu au Rwanda entre 1990 et 1993, et dont l´immense majorité a agi honorablement. Ce qui reste à démontrer, inlassablement. Tandis que, comme lors de l´affaire Dreyfus, les étrangers, décidément mieux informés, s´étonnent, s´indignent ou se moquent de nos déchirements...
Jean-François Dupaquier